Rock cause analysis

Tony Gum
  • Rock cause analysis ©Tony Gum & C-Gallery
  • Rock cause analysis ©Tony Gum & C-Gallery
  • Rock cause analysis ©Tony Gum & C-Gallery

C-Type print on cotton paper Hahnemühle, photo Rag Print, dimensions : 100 x 150 cm, 2018

 

La jeune Tony Gum s’est fait remarquer par sa pratique d’autoportraits photographiques qui, à la manière de Cindy Sherman, pointent avec une analyse critique et humoristique décapante les stéréotypes d’une culture féministe aujourd’hui revisitée par les théories du genre et du post-colonialisme. Evitant la dimension narcissique de l’exercice, elle en fait un symbole de la représentation des systèmes identitaires. Ses autoportraits portant les marqueurs de femme, noire, issue du peuple Xhosa, -environ 8 millions d’individus vivant en Afrique du Sud-, sont conçus pour résister aux clichés de la photographie commerciale et même les défaire. Les clés d’interprétation en sont multiples.

La série Rock Cause Analysis part de sculptures faites par elle-même, puis mises en situation pour être photographiées. Tony Gum abordant les conventions socio-culturelles qui ont régi jusqu’à peu la statuaire publique constate la rareté des « monuments commémoratifs rendant hommage aux victoires remportées par les femmes ». Elle entend alors rendre visible cette exclusion des femmes des grands récits historiques. Et, poursuivant son raisonnement, elle propose une façon contemporaine de dire la quiddité de l’ethnie Xhosa, au travers de quatre bustes de femmes, chacune étant revêtue des attributs rituels de tribus distinctes : AmaMfengu, AbaThembu, AmaMpondomise ou AmaMpondo.

Ces bustes de facture néoclassique, odes à la fois évidentes et complexes aux femmes de son héritage culturel, produisent des rencontres entre les iconographies africaines et occidentales, entre les genres, entre les ethnies. Ils peuvent servir de repères pour une jeune génération d’artistes oeuvrant dans une voie post-patriarcale, post-colonialiste. Procédant d’une technique classique, réalisés en plâtre à partir de moulages de son propre torse, ils semblent par la magie de l’interprétation photographique avoir été taillés dans la pierre, dans le roc auquel le titre fait allusion. Les socles droits et élevés sur lesquels ils sont présentés assignent au regardeur le face à face avec les oeuvres.

Chaque égérie reprend les parures ethniques, les coiffes, les vêtements et les objets de son clan et de ses traditions. Ces torses ont une assiette solide et ferme, ils donnent un statut prestigieux aux femmes Xhosa, les font entrer dans la tradition culturelle. Le titre détourne l’expression anglaise « root cause analysis » qui signifie le fait que pour analyser une problématique il faut remonter à la cause fondamentale. En remplaçant la « racine » par le « roc », la « pierre », Tony Gum reste dans la métaphore de la sculpture. Ces œuvres sont taillées dans la pierre pour transmettre dans les siècles à venir « l’héritage, la culture et les systèmes de croyance africains. »D’ailleurs tels les marbres antiques, les sculptures de Tony Gum ont des membres manquants. 

Car il y a un niveau supplémentaire de sens dans cette série de Tony Gum qu'on peut rapprocher de l'oeuvre de l'artiste français Kader Attia (2). Et ceci, grâce à l’acte photographique qui lui permet d’introduire un mouvement, des événements qui déjouent toute tentation d’orthodoxie auxquelles ces figures pourraient appeler. Ces incidents sont matérialisés par l’irruption d’une main humaine tenant la partie d’un membre manquant et tentant discrètement de le raccorder au torse. Nous sommes apostrophés par ce « détail » qui brouille toute interprétation hiératique et qui « redonne la main » à une dimension interprétative humaine et contemporaine. Gum s’en explique : « Les bras sont déplacés de la figure principale et «tombés». Le symbolisme du «bras qui tombe» dans mes sculptures montre à quel point la fonction cruciale du bras humain a été et peut être mal utilisée dans la statuaire classique. Les bras d’hommes y sont souvent représentés dans leur fonction de saisir des objets, le plus souvent des armes, ce qui signifie exécuter des tâches, des devoirs, exercer des responsabilités, permettre la subsistance, rédiger des traités. Dans de nombreuses sociétés et cultures, les femmes disposent généralement de leurs propres bras et armes productives et créatives pour nourrir, bâtir la société, les communautés, travailler. Néanmoins, les contributions des femmes ont tendance à ne pas être aussi mises en valeur.»

Ainsi cette série photographique acquiert la dimension réparatrice qui est très présente dans les études sur la décolonisation, notamment dans les écrits d'Achille Mbembe. D'une part elle se réapproprie en les ingérant, ou en les "cannibalisant"(3), les fondamentaux de l'art académique occidental, d'autre part elle introduit l'écart qui va permettre de donner une place aux autres composantes de la culture. Elle fonctionne comme un dispositif qui peut permettre d'effacer les erreurs de l'histoire et les effets qu'elles produisent sur les corps relégués aux oubliettes de la mémoire collective. Elle relève la femme africaine, en réarticulant son corps, en la légitimant, en lui restituant sa pleine majesté. « Si nous continuons à suivre un système et des modalités qui ne nous ont jamais nourris, si nous continuons à n’élever sur des socles que des hommes et des personnes non africains, à glorifier les systèmes mis en place pour diminuer et saper nos propres systèmes de connaissances, nous ne pourrons jamais vraiment prospérer parce que nos os n'ont jamais été formés pour faire partie de cette formule. Alors, pourquoi ne pas réaliser ce que nous sommes censés faire, être les rois et les reines que nous avons tous un jour été ? » 

 

Anne-Marie Morice

1Lungi Morrison

2 Kader Attia, Réfléchir la mémoire, 2016. Vidéo.

3 dirait Oswald de Andrade

Réfléchir la mémoire,
2016. Vidéo
HD, couleur, son, durée 48'.

 

Vu à

Also Known As Africa – Paris

http://akaafair.com

7 – 10 novembre 2018

Stand

C-Gallery – Milan