Pneumaphonie

Charlotte Charbonnel
  • Charlotte Charbonnel©abbaye de Maubuisson
  • Charlotte Charbonnel©abbaye de Maubuisson

La Salle des Religieuses, Compresseur, tornades de laiton, sable, pouzzolane, moteurs. Œuvre réalisée avec la précieuse collaboration de Jérôme Wiss, fabricant d’instruments de musique.

 

Charlotte Charbonnel a d’abord besoin de ressentir le lieu, telle une enquêtrice avant de commencer à penser des œuvres. Ses rencontres avec des architectures de diverses époques et nichées au cœur d’environnements grandioses l’amènent à questionner des scientifiques de différents domaines. Ces échanges lui permettent de sonder au mieux le site dans lequel elle va s’investir et de prendre la mesure de l’espace. Ses recherches poussées la conduisent à révéler les dessous du lieu.

Invitée à l’abbaye de Maubuisson dans le Val d’Oise, elle a eu l’opportunité d’y mener un travail qui s’approche de celui d'un géologue ou d'un archéologue. Pour parfaire son expérience et l'enrichir d'un regard de scientifiques, elle a convié des acousticiens à analyser la réponse sonore de chaque salle de ce bâtiment religieux avec leur expertise et appareils de mesure. Ce lieu est pour elle un corps vivant dont il fallait réveiller les souvenirs. Les sciences liées à la terre l’inspirent et les phénomènes naturels lui sont sources d’imagination. La synesthésie est également au cœur de son travail artistique qui révèle plastiquement les sons.

L’installation Pneumaphonie, dans la salle des religieuses est difficilement dissociable des autres œuvres in situ de l’exposition. Un ballet d’instruments monumentaux, en laiton qui soufflent de l’air et caressent du sable, accueille le visiteur. Cette œuvre dévoile les microphénomènes captés à l’extérieur par une sculpture, une antenne en béton, située spécifiquement à l’emplacement d’une ancienne fontaine, pour résonner au mieux avec l’histoire du lieu. Elle fait écho aux autres œuvres dans lesquelles le son les traverse et témoigne des humeurs de l’abbaye. Ces objets en mouvement dessinent des tracés infinis qui disparaissent et changent au fur et à mesure. Cette danse met en évidence des présences. Nos pas et notre souffle réagissent à ces déplacements lents qui captivent notre regard.
Cette salle, dans laquelle les moniales travaillaient, étant propice à la concentration, l’acoustique y est plus mate contrairement au parloir. Pour l’artiste, cet espace est comme le poumon de l’abbaye qui respire et manifeste des courants. Les corps qui dansent ont une taille qui fait écho à celle d’un instrument de musique, le tuba, déployé dans sa longueur. Un paysage des temps anciens est reconstitué : en contraste avec le sol clair qui fait référence aux carrières de calcaire des environs de Pontoise à proximité de l’abbaye, des amas de Pouzzolane, roche volcanique figée, évoquent un temps long, une ère lointaine. L’œuvre suggère de fait une fouille et fait apparaître les couches du sous-sol de l’abbaye. Les lents déplacements des éléments suspendus, qui jouent avec la présence des colonnes du bâtiment, renvoient eux à notre propre temporalité.
Charlotte Charbonnel révèle les énergies de l’abbaye et tout ce qu’elle contient. Etant dans la pénombre, avec peu de lumière, l’ouïe est d’autant plus active. Même si l'appareillage technique est visible, le mystère du mouvement au cœur de cette installation persiste. Cette installation incarne également une dimension spirituelle et suscite la contemplation.

Ainsi, Pneumaphonie s’apparente à une œuvre d’art totale, au Gesamkunstwerk, wagnérien, contenant diverses formes d’art qui créent ensemble chez le public une expérience des plus captivantes. Elle joue une partition composée par les mouvements de celle-ci et diffuse un voyage sonore, un concert de sons issus de la nature. Le vent fait parler les grandes cannes et anime l’architecture. L’air qu’on respire semble se propager dans le bâti. Cette œuvre s’impose à nous comme un phénomène naturel recomposé, telle une tornade, à l’intérieur de ce lieu voué à la religion. Elle nous attire et nous la contournons, en étant à la fois à proximité et éloignés d’une scène qui se déroule sous nos yeux. Cette installation fait également écho à la crainte et à la fascination qu’on peut éprouver en pensant aux dérèglements des paysages. Un bouleversement passé et un phénomène en cours sont au cœur de cette création monumentale qui par ses mouvements, crée son propre espace vivant.

Pauline Lisowski

Vu à
Abbaye de Maubuisson, France
Du 12 - 09 - 2020 au 14 - 03 - 2021