Néons parisiens disparus

Hervé Sellin
  • Néons parisiens disparus©Hervé Sellin
  • Néons parisiens disparus©Hervé Sellin
  • Néons parisiens disparus©Hervé Sellin

Tirages d'auteur argentiques : Samaritaine, Gare du Nord, Boulevard Rochechouart, 1977-1979

 

Cette série d’Hervé Sellin (1951-2013) a rejoint les collections du musée d’histoire de Paris - Carnavalet. Elle est exposée dans le cadre d’une thématique autour des Nuits parisiennes, de 1977 à nos jours. Cet accrochage est à découvrir dans le parcours des collections permanentes jusqu'en mai 2024.

Le jeune Hervé Sellin a commencé par dériver dans les explosions de couleur, les lignes et les surfaces de l’iconographie liée aux loisirs populaires. Il a traqué les inventions scripturales et graphiques des attractions de fêtes foraines, et des flippers mécaniques mis en place dans tous les cafés à l’époque. Révélé à 25 ans par le magazine Zoom, en 1976, la même année il fait partie des quatre mentionnés du premier Prix Kodak de la critique photographique. Distinction qui lui permet de passer l’été à New York.

Son œuvre se situe à une époque charnière en France, entre le noir et blanc et la couleur, entre le déclin de la photographie humaniste et le succès grandissant de la photographie américaine chromatique. L’historien de la photographie Jonathan Green[1] décrit très précisément le moment de « bascule entre idéalisme et réalisme » aux Etats-Unis. Une nouvelle appréhension de la disposition des formes, de la topographie, de l’architecture, caractérisent la photographie américaine émergente des années 70. Les volontés de domination des émotions et de la sentimentalité ont concouru au recours au document pour mettre en évidence la présence du réel. Dans la réception on a fait appel à une lecture inclinant vers la neutralité.

Sellin est en phase avec ces influences tant qu’elles correspondent à sa propre démarche de production d’objets artistiques. Son objectif est de faire tenir la complexité du motif dans un plan directement lisible par l’œil. Les figures et la lumière devant former un tout qu’il ajuste par la prise de vue aux formats de la surface.

Ses prises de vues, à New York, où les chromes industriels voisinent avec une lumière contrastée, dramatisée, ses coupures nettes entre ombre et lumière intégrant la dimension structurelle de l’architecture, lui permettent d’épurer son art de la composition. 

De retour en France, il réalise cette série architectonique Néons parisiens disparus, 1977-1979. Il se concentre sur la lumière émise par les plafonniers de néons qui, avec des motifs fantaisistes rehaussaient, alors, de volutes les grands cafés du centre de Paris. Par la blancheur du tube chargé en gaz xenon, ces sculpture suspendues dans les espaces supérieurs dessinent des perspectives lumineuses. Leurs fines courbes blanches forment des accents d’exaltation, ou des motifs géométriques qui se détachent du volume, inférieur, d’obscurité profonde et mystérieuse dans lequel Sellin a enfoui toute trace, ou presque, de présence humaine. Peu de détails transpirent de l’activité chaleureuse qui se déploie dans ces lieux de convivialité qu'étaient ces bars et cafés. La perfection quasi maniaque des cadrages, l’isolement d’ensembles formels, la recherche de la symétrie, la façon dont ces néons se dessinent géométriquement les uns par rapport aux autres, la relation forme-fond aboutissent à une harmonie en soi. Ces photographies deviennent intemporelles. 

C’est la correspondance entre une volonté d’abstraction et un sujet empreint de caractère et d’irrégularités, rugueux, qui rendent la démarche d'Hervé Sellin historiquement inédite et originale. Car par ailleurs Sellin est un photographe du hasard, de l’étrangeté, de l’inattendu qui arpente inlassablement le bitume de la ville, ses chantiers, ses rejets, traquant les grandes ou infimes mutations de Paris. Personnellement, pour l’avoir vu oeuvrer pendant de nombreuses années, je peux ajouter qu'il travaillait en solitaire sur l’éphémère, le passage, les transformations, tout en gardant une même grille conceptuelle.

Appliquant un minimalisme pur sur la verve de l’expressionnisme populaire, Sellin a pu transfigurer la banalité du quotidien et la faire échapper à l’oubli. Sa démarche d’abstraction photographique doit être mise en regard de celles menées par les mouvements d’abstraction picturale et les avant-garde photographiques, pour l'inscrire dans les recherches de son époque, conjuguant abstraction et réalisme. 

 

 

Anne-Marie Morice

Vu à

Musée d'histoire de la Ville de Paris Carnavalet

Nuits parisiennes, de 1977 à nos jours

Accrochage dans le parcours des collections permanentes

Du 13.01.2023 au 12.05.2024

 

 

 


[1] Jonathan Green,  American Photography A critical history, Harry N. Abrams, New York, 1984