Je sème à tout vent

Edmond Couchot, Marie-Hélène Tramus, Michel Bret
  • Je sème à tout vent © Edmond Couchot, Marie-Hélène Tramus et Michel Bret
  • Je sème à tout vent © Edmond Couchot, Marie-Hélène Tramus et Michel Bret

Je sème à tout vent (1990) Installation interactive d'images de synthèse tridimensionnelles implémentée sur ordinateur. Création pour Artifices 1. Commissaires : Jean-Louis Boissier, Pierre Courcelles. Matériel de création et de présentation : ordinateur Silicon Graphics IRIS 4D/25, logiciel ANYFLO, capteur F.G.P. Instrumentation.

 

Ce texte est en premier lieu un hommage rendu à Edmond Couchot qui est décédé le 26 décembre 2020. Edmond Couchot, auteur d’ouvrages déterminants traitant des relations entre l’art et la technologie, fut le  fondateur avec Marie-Hélène Tramus, en 1982, du département Arts et Technologies de l’Image (A.T.I.) de l’Université Vincennes - Paris 8. Jean-Luc Soret, directeur artistique du festival @rt outsiders, une manifestation consacrée aux nouvelles formes de la création contemporaine en relation avec les sciences et les technologies, signe ce témoignage sur l’une des oeuvres les plus justes de l’art numérique naissant : Je sème à tout vent. Edmond Couchot faisait partie des trois artistes qui ont conçu ce dispositif où l'image devient activement sensorielle, qui place à juste distance celui que le chercheur Jean-Louis Weissberg a appelé le « spectacteur ». Cette installation interactive figure dans les annales comme pièce maîtresse de l’art technologique. AMM

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Le décès d’Edmond Couchot suscite le besoin impérieux de lui rendre hommage et de dire à quel point Je sème à tout vent dont il est l’auteur avec Marie-Hélène Tramus et Michel Bret, est une œuvre des plus originales. Une œuvre aussi délicate que puissante. De celles qui marquent la sensibilité de façon indélébile. Une œuvre immatérielle qui repose sur un geste chargé de spiritualité et proprement humain : le souffle.

Je sème à tout vent nous met face à l’image d’une ombelle de pissenlit. Trônant sobrement au centre de l’image, la boule blanche vaporeuse que porte une tige frêle dodeline doucement dans l’espace noir de l’écran, comme ballotée par une brise légère. La taille du capitule sphérique est semblable à celle de la fleur que tout enfant a déjà cueilli pour en éparpiller les akènes en un souffle. Et c’est précisément ce à quoi nous invite l’œuvre : souffler sur l’image pour souffler la fleur et en essaimer les fruits aériens aux quatre vents. On souffle légèrement sur l’ombelle, et voilà que quelques-uns de ces petits parachutes végétaux s’envolent. On souffle à pleines joues et voici tous les akènes qui se détachent, s’éparpillent et retombent dans le hors champs de l’écran. Une image qui se comporte comme ce qu’elle représente. Quelle audace ! Quelle idée géniale ! Un moment proustien de pure poésie visuelle qui porte avec sobriété et épure « l’édifice immense du souvenir » et active la réminiscence de l’enfance.

À cette œuvre a succédé une autre, La plume tout aussi fine. Ici encore l’analogie est totale entre les dimensions réelles et virtuelles de ce qui est représenté : une petite plume duveteuse d’oiseau que l’intensité et la durée du souffle du visiteur élève dans les airs, d’un mouvement fluide et virevoltant, avant qu’elle ne se pose doucement tout en bas de l’écran noir, prête à accueillir le souffle d’une nouvelle interaction.

En septembre 2001, à l’occasion d’une exposition de ces deux œuvres à la Maison Européenne de la Photographie dans le cadre du festival @rt Outsiders, Couchot déclarait malicieusement qu’il voyait dans ce geste artistique un pied de nez à tous ceux pour qui l’art numérique, art de « technomaniaques » raillaient-ils, manquait de vie. En guise de modeste soutien, face à cette frilosité critique et institutionnelle qui le désolait répondit l’initiative de faire entrer cette œuvre d’art numérique interactive remarquable dans les collections de la MEP.

Edmond Couchot aura semé à tout vent, par ses enseignements à l'université de Paris 8, ses écrits théoriques et ses œuvres pionnières. Ces mots de Marie-Hélène Tramus-Couchot, issus de « Dialogues sur l’art et la technologie » résument de façon émouvante l’entreprise qui fut la sienne, qui fut la leur : « Je sème à tout vent. On s’aime à tout vent…à la recherche d’une poésie de l’image vivante qui parle à nos sens, à notre imagination ».

Jean-Luc Soret

 

Vu à

@rt Outsiders

2001

Maison Européenne de la Photographie, Paris