Hôpital de jour

Marc Pataut
  • Hôpital de jour Aubervilliers, 1981 © Marc Pataut
  • Hôpital de jour Aubervilliers, 1981 © Marc Pataut
  • Hôpital de jour Aubervilliers, 1981 © Marc Pataut

Hôpital de jour Aubervilliers, depuis mai 1981. 91 planches-contacts argentiques noir et blanc des photographies prises par les enfants. 188 planches-contacts argentiques noir et blanc des photographies prises par Marc Pataut. 1 album photographique, Album Rouge (15 x 30 cm), 1989. © Marc Pataut

 

Cette série est la première étape importante du parcours de Marc Pataut, artiste du collectif, des invisibles, du passage de l’intime au public. Il l’a commencée en 1981 après une formation en sculpture et dessin dans l’atelier du sculpteur Etienne-Martin aux Beaux Arts de Paris suivi d’un passage à l’agence Viva, - un collectif de photographes-auteurs très engagés dans le champ social-. Marc Pataut veut réaliser un « grand reportage », un travail au long cours sans but directement utilitariste. Il se tourne vers un de ses amis qui travaillait, à Aubervilliers, dans un hôpital de jour. Y étaient accueillis des enfants présentant des troubles du comportement. 

Pataut offre de les photographier. Devant le faire « en immersion » il est intégré à l’équipe de soins en tant qu’ « élève infirmier occasionnel à mi-temps ». Sur une période de deux ans, il passera neuf mois dans ce  service public de santé mentale qui, suivant les perspectives de la psychothérapie institutionnelle, voulait changer les rapports entre soignants et soignés et constituer un nouveau rapport à la folie attentif non seulement au bien-être psychique des patients, mais aussi à leur condition socio-économique. «  Je suis arrivé voulant dénoncer l’asile, l’enfermement, la psychiatrie et je me suis trouvé confronté à des enfants qui souffrent et à des adultes qui essaient de faire en sorte d’atténuer cette souffrance » dit Marc Pataut qui comprend alors que « faire de la psychiatrie est un métier politique »1. C’est l’époque de la sortie du film San Clemente tourné dans un hôpital psychiatrique en Italie par Raymond Depardon dont le parti pris d’esthétisation de la folie gêne Pataut2. Il cherche un autre mode de création pour donner forme à l’authenticité de cette réalité.

Marc Pataut est alors confronté à la nécessité de définir son projet personnel tout en apportant un soin à ces enfants par l’activité artistique. Le passage à Viva l’a renforcé dans son aversion pour la position dominante du photographe par rapport à son sujet. Il se sent « incapable de se mettre dans la peau de l’autre» en le regardant par un viseur. Il veut laisser la réalité s’imposer à lui, mettre en place des procédures permettant aux autres de se raconter, d’être eux-mêmes. Il décide de déléguer l’étape de la prise de vues aux enfants. Grâce à un partenariat avec la firme Kodak il leur donne des appareils photos Instamatic. Il s’émerveille du plaisir qu’ils ont à découvrir cet objet technologique auquel d’habitude on ne les laisse pas accéder, par peur de leur maladresse. Ils abordent l’appareil avec une grande excitation, certains regardent par l’objectif et sont fascinés par les reflets lumineux qu’ils y découvrent, d’autres appuient en rafale, un autre place l’objectif sous son cou et déclenche l’obturateur, certaines photographies sont nettes ont une logique de cadre, d’autres sont des moments de mouvement et de lumière, sur d’autres on voit les doigts en premier plan. Des fragments de corps, de nature et de paysages, le ciel , l’architecture, des visages sont présents dans ces images solaires qu’on peut découvrir au Jeu de Paume et au Fort d’Aubervilliers. 

D’une façon systématique Marc Pataut photographiait chaque enfant avant de lui donner un appareil photo, puis il faisait des petits tirages qu’ils mettaient dans leurs cahiers. 

En 1989 il reprend les planches contact et fabrique en trois exemplaires l’Album rouge.   « J’avais ressorti les petits livres-sculptures d’Etienne-Martin, mon professeur aux Beaux-Arts, ses livres-objets avec des trous, des intercalaires. Ce qui m’intéressait c’était de passer du temps avec la main. C’est presque de l’ordre de la sculpture. Le temps du laboratoire est aussi un moment à part, tu es avec tes négatifs, tu tires, tu peux écouter la radio, regarder la télé, des films, tout en passant du temps avec les images, tu fais quelque chose qui est à la fois manuel et cérébral, de l’ordre du rêve. C’est une façon de s’approprier les images, d’établir un rapport qui n’est pas nécessairement celui de l’intelligence ou de la compréhension, mais une sorte de bain. »3

Avec la série Hôpital de jour Marc Pataut a trouvé un processus de création en commun qu’il a souvent repris et qui constitue son interprétation du genre du portrait. Il a représenté avec une grande intensité des groupes sociaux, collégiens, compagnons d’Emmaus, marginaux…, toujours en les associant à une procédure d’interaction d’une façon ou d’une autre. En lisant La Communauté désoeuvrée de Jean-Luc Nancy, dit-il, « j'ai compris - c'est en tout cas la façon dont j'ai lu le texte - que l'idée de communauté ne pouvait pas se mettre en oeuvre et ne pouvait se vivre que dans la dimension du travail. » Avec cette patiente mise en oeuvre il se détourne du culte que ses brillants aînés français vouaient aux principes zen d’Henri Cartier Bresson, pour qui l’acte de création se déroulait en une fraction de seconde, au moment de la « prise » de vue. 

Pataut produit une approche qui tient du performatif, de la kinesthésie, du temps long, de la proximité. Dans l’élaboration d’une action il engage les corps entier et les perceptions conscientes et inconscientes. On retrouve cette faculté de mettre en place une relation participative, sensible et à bonne distance, dans toute son oeuvre. Comme le dit Pia Vewing, commissaire des expositions « Dans le travail de Marc, on est pris dans la composition d’une relation, inventée mais qui existe, entre la personne photographiée et l’artiste. C’est cette relation qui peut permettre de définir la photographie ou le portrait autrement. » 

« Ce projet m’a débloqué par rapport à la représentation. J’ai compris que la photographie est aussi une projection  C’est aberrant de la couper des autres arts, elle a cette particularité d’avoir été inventée finie. »4 Cette machine à représenter, à reproduire, à conserver n’a cependant pas le pouvoir de couper dans la vie et d’enfermer son butin en petits morceaux séparés car c’est abord dans la tête que les formes visuelles s’inventent. Elles se fabriquent aussi avec la parole, dans le temps et se chargent ainsi de pouvoir, de vitalité. 

 

Anne-Marie Morice

 

1 Entretien réalisé le 9 juillet 2019

2 Pataut Marc. Procédures et forme documentaire, sculpture et langue. In: Communications, 71, 2001. Le parti pris du document. pp. 283-306. https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2001_num_71_1_2089

3 Conversation in Marc Pataut de proche en proche Textes de Jean-François Chevrier, Stefano Chiodi, Marianne Dautrey, Marc Pataut et Pia Viewing, 2019, 240 pages. Coédition : Jeu de Paume / Filigranes éditions

4 Entretien réalisé le 9 juillet 2019

 

Vu à

 

Marc Pataut de proche en proche

18 juin au 22 septembre 2019

Jeu de Paume, Paris, France

 

Les images sont des mots

21 juin au 31 juillet 2019

 

Aubervilliers, France