Blind test (série) impression sur carton et miroirs contrecollés sur dibond. Successivement : Combat, Pray, Amore, 2022.
1____ PRODUCTION _______
Tu viens de finaliser le premier triptyque d’un nouvel ensemble nommé « Blind Test ». Peux-tu revenir sur les prémices de ce projet ?
J’ai commencé d’abord par collecter un certain nombre de mots en vue de constituer un dictionnaire de concepts tournants autour des subversions et des luttes. J’ai noté à peu près 250 mots pour le moment, – des mots d’autorité, d’aliénation, de contrôle ou des mots de soulèvement, de subversion –, la liste s’arrêtera autour de 365 mots, un mot pour chaque jour, comme une sorte d’éphéméride.
Les premières occurrences de « Blind Test » ont été constituées à partir de ce corpus de mots ?
Il s’agissait de mettre en situation avec un protocole particulier ces télescopages visuels tout en sortant pour la première fois du tirage photographique, donc d’utiliser l’impression directe sur carton. Avec « Blind Test », je sors de la photographie comme objet un peu muséal pour une impression délibérément cheap et directe sur carton.
Justement, je voulais revenir sur ta pratique avant « Blind Test », tu utilisais en majorité le médium photographique.
Oui avec parfois un peu de film et de vidéo. Mais essentiellement de grands tirages qui présentaient un nouvel ordre du monde avec, dans le beau et son apparence esthétique, toute la servitude et l’horreur qui accompagnent et se cachent en arrière-plan de cette sorte de grand cauchemar climatisé et globalisé.
Comment distingues-tu « Blind Test » de ton travail antérieur ?
D’abord ne plus passer par le tirage papier contre-collé et encadré, représente une espèce d’action photographique et visuelle directe.
Comment la production induit-elle cet acte ?
J’ai repris cette technique de l’industrie qui sert essentiellement pour la communication et la publicité à produire de grands 4 x 3 sur bâches avec de grosses machines qui peuvent imprimer sur tous types de supports. Après des tests sur bois d’abord, j’ai trouvé le carton plus adéquat parce que plus brut mais aussi plus fragile.
Si tu utilises une technique destinée aux grands formats, imagines-tu pour autant les « Blind Test » accrochés sur un échafaudage dans la ville ?
Le premier triptyque que j’ai fait à titre de maquette était de petite taille (1m x 60 cm) et ceux que je finalise actuellement sont de taille moyenne (150 x 100 cm).
À quoi correspond ce format en définitive car la découpe en plaque répond bien souvent à des standards ?
Je conserve la liberté que chaque mot ait la taille qui lui convienne mais toujours dans une échelle humaine entre celle du corps (entre 1,50 et 2 mètres) et celle de la construction et de ses panneaux (entre 2,50 et 3 mètres). Cette échelle renvoie non pas à celle de la publicité qui préfère le 4 x 3 mais plutôt celle des plaques en carton qu’utilisent les personnes sans abri pour se faire un lit au sol, ou se bâtir un abri ou un refuge de fortune. Un matériau pauvre toujours à échelle humaine entre le corps et la construction qui l’abrite et le protège.
2 ______ INVERSION __________________
Pour « Blind Test », l’image imprimée sur le carton est comme solarisée, à quoi correspond ce traitement de l’image ?
J’inverse en fait l’image en négatif, – le blanc devient noir et le noir devient blanc –, j’aime cette volonté d’inverser c’est-à-dire de voir le monde à l’envers et de placer la vision à l’envers.
Ce mouvement a une longue histoire…
Oui. Dans la révolte, on renverse. Cette idée simple est finalement très marxiste. Alors qu’Hegel décrit un idéalisme d’un monde qui marche sur la tête, à l’envers, avec Marx et la dialectique matérialiste, il s’agit de remettre les choses à l’endroit, donc de renverser pour revenir à la matière, sur nos pieds et sur ce qui permet de faire interagir les forces actives.
Mettre ce que l’on voit à l’envers dans une volonté d’inversion ou de renversement, c’est important conceptuellement et cela va dans le sens de cette dialectique négative dont parle Adorno. L’idée est de se libérer non pas par l’accomplissement de soi, l’épanouissement, par ce que je suis, mais plutôt de s’édifier par ce qui m’échappe, par ce qui échoue, par ce qui ne réussira pas. C’est cela la dialectique négative d’Adorno, qui est une chose assez belle ; c’est-à-dire, qu’au contraire de tous les hégéliens, ta réalisation n’est pas dans l’achèvement, mais au contraire tu t’édifies dans la faille, la fuite, la faillite et la fissure. L’idée est de s’établir, parler, se construire, s’édifier sur la faille. Pour le dire autrement, dans les Blind Test c’est se voir ou se refléter dans le point de fuite.
Cette inversion accompagne donc ce mouvement ?
Par l’inversion mais également par ces trous que je pratique dans l’image et enfin les miroirs que je contre-colle au fond de ces orifices en braille, où tu te réfléchis par les trous, le trou de l’abîme....
Un mot choisi dans la liste que j’ai constituée est traduit en braille, qui vient s’inscrire en creux dans la surface du carton où se trouve imprimée l’image inversée. Le regardeur ne voit que lui-même dans les miroirs de ces images inversées. Cette dialectique un peu subtile m’amusait, où tu vois sur carton une image à l’envers qui comporte des trous qui disent quelque chose aux non-voyants alors que les voyants ne voient qu’eux-mêmes.
Les non-voyants peuvent saisir quelque chose s’ils peuvent toucher l’image, le braille induit un rapport au toucher. Il y a là quelque chose d’ambivalent, de presque impossible sauf si l’on peut toucher ces images.
Oui c’est du carton donc tu peux toucher l’image, mais en fin de compte cela pose la vraie question : qui sont aujourd’hui les véritables aveugles ? Où sont en fait les vrais aveugles ? J’en vois par exemple beaucoup, par cohortes et en colonnes, en myriades comme les oiseaux migrateurs, errer dans les Artfair, du temps où il y avait des Artfair... Cela m’intéresse de montrer une image difficile à appréhender pour le regardeur parce qu’elle est inversée et aussi parce que le mot est incompréhensible pour le voyant à qui il ne reste que le miroir, de façon très œdipienne. C’est peut-être les yeux crevés que nous verrons vraiment.
3 _____ ENCODAGE ____________
Tu effectues donc un travail de brouillage pour réaliser un acte direct.
C’est paradoxal et c’est le but désiré. Le regardeur voit une image difficile à lire, il suppose vaguement que cela à un rapport à la lutte. Il voit une fille qui court dans la fumée, une autre assise sur une palette de chantier, le tout en négatif et perforé de trous-miroirs dont il n’a pas le sens ni la clef, … et il ne comprend pas ce que c’est, mais il devine vaguement dans une impression floue. Les mots qu’il trouve, il ne les comprend pas. La seule chose qu’il voit c’est lui-même. Donc là, il y a une sorte de court-circuit du regard. En effet, ce n’est pas le regardeur qui fait le tableau, mais le regardeur qui se voit lui-même, pris dans cette boucle de la vraie cécité.
Ces trous tels des pixels hors échelle de l’image créant des béances dans l’impression d’une image inversée sur carton nous renvoient des fragments de nous-même et de notre environnement immédiat.
Je les envisage un peu à la façon dont Spoerri composait ces tableaux pièges, c’est-à-dire que tu montres des choses que le regardeur ne voit pas parce que les seules bribes qu’ils voient, les fragments, c’est lui-même. Donc, ce qui m’intéressait c’était de montrer des messages non délivrés au regardeur mais encodés. Je voulais réencoder l’idée de la révolte avec des images enfouies, enterrées, inversées, difficile à lire, avec des images qui résistent à la lecture et à la compréhension unilatérale.
Le choix des mots que tu as trouvés peut donner une couleur idéologique au travail. Par exemple les mots liés à l’autorité qui vont trouer une image, montrent comment l’idéologie code notre regard sur le monde. Cela m’évoque le travail de Boulatov qui a exposé en Europe après la Glasnost, des œuvres picturales où l’horizon était barré par des inscriptions en russe qui prenaient corps au premier plan du paysage mais que nous ne pouvions pas comprendre immédiatement. Cela agissait sur le regardeur qui ne lit pas la langue russe comme un mot encodé. Et dans ce mouvement d’encodage, le fait de placer des miroirs au fond des trous peut être conçu comme un geste assez absurde (non-sens) pour le non-voyant mais très aveuglant parfois pour le voyant.
Le codage et le cryptage sont essentiels, c’est la texture, la peau et la saveur et la teneur profonde des images. A nous artistes de ré-encoder un monde surcodé de partout. Je me souviens déjà de la bande-son de ma vidéo « May 1st », où c’est le texte du « Coup d’État du 18 Brumaire » de Karl Marx en sonorité morse. J’avais fait cela de manière intuitive. Mais présenter cette sainte trinité : l’autorité, l’aliénation et la subversion de façon encodée et pas manifeste, la faire passer, cachée, secrète, étrange, pas délivrée d’emblée aux publics, c’est une sorte de dialectique négative qui m’intéresse. Tu te construis par ce que tu ignores, tu vas t’édifier par ce qui t’échappe. Ces images sont sauvages parce qu’elles échappent au cliché et à la compréhension du regardeur. C’est important que celui qui voit ne comprenne pas, parce qu’il faut qu’elles restent libres, il faut qu’elles soient à l’état sauvage, comme des mustangs. C’est bien que cette espèce de triangulation : autorité, servitude, subversion ne se donne pas à celui qui la voit. Et que les images restent libres. Qu’elles puissent continuer de flotter hors de nous, hors de notre regard propriétaire et colonisateur.
Le titre que tu as donné à l’ensemble offre une dimension supplémentaire, il n’est plus question de non-voyant ou de voyant mais de personnes qui entendent quelque chose, il y a une irruption sonore. Il y a un trouble dans cette expérience du « Blind test ». Il faut reconnaître.
J’ai pris ce titre parce qu’il y avait le mot « aveugle » et que le Blind test est quelque chose qui ne se donne pas tout de suite mais qu’il faut deviner. Je suis content que ces images cryptées ne se donnent pas tout de suite, mais qu’elles soient néanmoins directes et frontales. Souvent quand tu prends un coup tu ne comprends pas de qui et d’où il vient, ni ce qu’il signifie, cela vient en général bien après… j’aimerais que ces images aient la même nature. Brutales, frontales, immédiates et mystérieuses…
4 _____ CONTROL _________
Les mots que tu as choisis n’ont-ils pas également un caractère sonore ?
Cela pourrait être des injonctions, des logos, des statements. Ce sont des mots qui vont dans ces trois directions, qui triangulent notre condition individuelle et collective : autorité, servitude et subversion. Mais par exemple le mot « expansion », c’est le mot du capital, « exploitation », c’est dans les deux camps, « explosion » c’est l’extrême, « fabulous » c’est le capital, « Failure », « Fever »… Jusqu’à 365 mots, autant de jours que dans l’année, comme une sorte de calendrier où tu peux de façon perpétuelle prendre un mot et vivre avec la journée … c’est mieux que les prénoms des saints... C’est une espèce de calendrier d’année mentale avec des mots. J’aimerais faire un livre de 365 pages avec cette espèce de calendrier d’aveugle, avec des mots en braille perforant des images de lutte de subversion et de soumission… comme ça, qui impulsent ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, ce qu’on comprend et ce qu’on ne comprend pas et qu’on re-comprendra d’une façon différente
Comment les as-tu sélectionnés ?
Comme un vieux qui note ses courses dans un carnet…
Aujourd’hui il faut des pommes, du beurre et du papier toilette … Aujourd’hui je veux « printemps », « contrôle » et « aurore »… J’ai toujours des carnets. J’en note, j’en note puis je les mets ensemble. Parfois je note quatre fois le même… je rumine et je radote aussi… C’est possible que dans le bégaiement commence une autre parole…
Répétition qui montre d’autant plus son importance pour ton corpus calendaire.
Ce sont des mots-clés que tu retrouves aussi dans la culture des tabloïds, qui sont toujours les mêmes. Le langage de l’idéologie médiatique, le Sun anglais, le Daily Post américain, tous ces tabloïds qui recrachent, - c’est à peu près 600 mots essentiels soit le vocabulaire d’un enfant de trois ans -, qui te martèlent que tu es beau, laid, down, up, qui racontent toute la misère du monde. Tous les jours les news avec les mêmes qualificatifs, ce ne sont que les gens et les sujets et les noms propres qui changent.
Tu prends le « discours des vainqueurs » ?
Je dirais que j’essaye avec ça d’avoir le béaba, l’expression avec le plus petit dénominateur de mots qui expriment le clash de notre époque et de le renvoyer en boomerang, dans une dialectique cryptée. Les gens disent qu’il faut être dans le dream d’autres qu’il faut être dans la drug. C’est vraiment une espèce de codex élémentaire minimal de ce que les médias nous assènent, mais aussi les tensions qui nous animent. C’est le minimum vital, des mots d’urgence : je ne sais pas parler, avec ces 365 mots, je suis dans le monde. C’est une espèce de balbutiement et c’est aussi un virage intéressant pour moi.
5 ______ VIRAGE ___________________
Tu veux dire un tournant dans ta pratique ?
Pendant 20 ans avec la photographie, à partir de l’année 2004, j’ai montré dans l’exposition un cauchemar climatisé qui était en train de se mettre en place. Au début, les gens ne voyaient pas trop ce que je voulais montrer. Le défilé de mode pris au grand angle, c’est grand, noir, sublime, mais à la fois c’est une vanité absolue. Dans l’obscurité, 1000 personnes qui en regardent une autre faire des lignes. C’est une nouvelle religion obscure et planétaire.
J’avais également vu une édition avec un texte comme un long sous-titre qui courait sous des images de joggers parcourant l’espace, courant après un panoramique sans fin.
Lors de ma première exposition, en 2004 j’avais réuni huit grands défilés et huit grands joggers. J’avais envie de mettre le jogging avec le défilé parce que ce n’est pas un sport, qu’il n’a pas de clubs, d’académies, mais tout le monde en fait, c’est une maladie auto spontanée, partout, les gens joggent pour être en forme, pour montrer à eux-mêmes qu’ils sont en forme, pour montrer aux autres qu’ils sont en forme. C’est une espèce de narcissisme exhibitionniste par rapport à la question du corps, et là aussi, le jogger est un sujet qui fait des lignes. Et je montrais, pris au très grand angle, le jogger tout petit dans le paysage. Avec les défilés, c’est pareil dans un autre champ. La mode c’est un système économique idéologique où des élus dans le noir regardent des filles avec des vêtements faire des lignes. C’est la même chose qu’avec les joggers, une espèce d’idéologie qui était en train de se mettre en place avec des priorités. Ensuite, j’ai présenté l’ensemble des « Streets » que les gens n’ont pas compris. Ils voyaient que je photographiais les boutiques de mode. J’ai fait quinze avenues de shopping à Los Angeles, en Asie…
Comme les « prédateurs d’affiches », les décollagistes (Hains, Villeglé) comprenant dans les années 1950 que la publicité est en train de s’approprier la ville, ils vont essayer de récupérer cela en lacérant les affiches… avec les Streets en 2006, j’étais en train de démontrer qu’un nouvel ordre économique se mettait en place, préparant une ville devenue un rubik’s cube de boutiques de luxe interchangeables, constituant le nouveau plan de la ville.
Avec Blind Test il y a rupture parce que pendant 20 ans, j’ai montré cet ordre nouveau, secret, très beau et à la fois terrifiant, d’une beauté ambiguë. Et cette ambiguïté m’intéressait parce que c’est comme cela qu’elle se propage. Le défilé est à la fois le summit de la culture, du raffinement, mais aussi le summit de la comédie humaine et de sa vanité. Et maintenant que ce plan est là, – tu vas n’importe où il y a des boutiques de mode, il n’y a que le luxe qui marche –, je ne peux plus que constater ce plan qui est en place, même si dans 30 ans il y en aura un autre, donc voilà, il faut revenir à une espèce de fondamental. Ma fonction en tant que visual exhibitor ou visual operator comme dirait Paul Devautour, est de montrer comme un psychanalyste visuel, la mise en place d’un ordre secret, avec ses différents chapitres : les boutiques, la mode, les yachts, les hommes en noir de la sécurité. C’était intéressant de faire l’enquêteur quand cela commençait il y a 20 ans, mais tout cela étant devenu une évidence aujourd’hui, j’avais besoin de revenir à quelque chose de plus direct, plus pauvre, plus profond et de moins évident, plus proche de la lutte. En réagissant aussi à un art qui est aujourd’hui complètement adossé, orienté, canalisé, monopolisé par les Art fairs, ce truc où l’art est devenu une déco Life Style. Donc si je continuais à faire de grands tirages du « capitalisme avancé » je ferais de la déco. Durant les 20 dernières années, la Art Fair a créé une situation de hold-up, elle a fait main basse et quasi-monopole sur le système de l’art, a effectué la greffe d’un nouveau cerveau sur la plupart des galeristes comme des artistes. Les galeristes continuent à être galeristes mais leurs boutiques ne servent plus qu’à faire des foires, lieux des transactions. Un système s’est mis en place qui a domestiqué l’art, pour que l’art ne soit pas ce qu’il était mais devienne de la décoration. C’est-à-dire que tous ces gens des Art Fairs, tous ces nouveaux collectionneurs, achètent de l’art pour décorer leur maison, – un signe d’ostentation, de standing – et en fait, ils le convertissent dans cette relation, comme si c’était une voiture de sport ou un sac à main. La Art Fair a donné priorité à l’économie qu’elle invente, mais dans la manière d’acheter et de voir l’art ça a été une conversion de l’idée de l’art qui est devenue avec ce système, l’équivalent de biens marchands luxueux, une résidence secondaire, un grand cru… Je me sens revivre à pratiquer aujourd’hui d’autres gestes.
Ce que tu viens de me dire me rappelle Daniel Buren qui en 2012 se souvenait des conditions de production qu’il avait dans les années 1970 et qui lui permettaient, comme à la plupart des jeunes artistes, d’expérimenter avec des matériaux peu chers et il se désolait de voir le budget impressionnant qu’il fallait à un artiste aujourd’hui pour arriver à rendre visible son travail.
Oui, le projet d’arrêter la peinture, l’atelier, passer à l’affichage de feuilles imprimées sur les murs. Avant, je déléguais le tirage à des procédés industriels, des savoir-faire divers et variés, aujourd’hui, je passe par l’impression sur des plaques de carton nid d’abeille, après je continue en perçant les trous, en ajustant des miroirs… C’est la première fois que je retrouve une liberté productive que je n’avais jamais fréquentée. C’est important de revenir à quelque chose de plus léger, plus spontané.
Tu peux jouer avec l’échelle du braille sur l’impression carton, tu peux exploser davantage les percées dans la matière, comme des impacts réalisés dans l’urgence dont tu parles, comme un message inscrit furtivement dans l’espace public.
Et j’ai remarqué qu’il n’y avait pas beaucoup d’images de manifestation utilisées… Tu as Warhol qui reprend une photo de Charles Moore reporter couvrant pour Life les émeutes raciales de Birmingham en 1963, cette photo qui a fait le tour du monde où tu vois des policiers avec un chien loup qui attrape le pantalon d’un noir.
En termes d’inspiration, les trous, je les dois aussi à Cady Noland, quand elle perforait des plaques d’aluminium sérigraphiées, où tu vois, par exemple, l’assassin de Kennedy, Lee Harvey Oswald (Oozewald, 1989). Et ces trous, ces aérations, ces béances sont des choses assez mystérieuses autour desquelles tout repose. Je pense que je n’aurais jamais fait de trous si je n’avais vu des Cady Noland quelque part, et la critique de la société américaine qui découle de ses perforations.
Mais j’avais aussi à l’esprit cette œuvre unique, soudaine, radicale et libératrice de Niki de Saint Phalle avec ses « Tirs » de 1961, où elle fait d’un coup de fusil, voler en éclat tous les préjugés de son temps. Faire des trous, ça fait du bien et ça apporte souvent quelque chose qu’on ne pensait pas, et qu’on n’osait même pas penser.
Je suis en ce moment en fait complétement immergé dans cet état d’esprit…
celui des trous qui délivrent et édifient…
Entretien Lise Guéhenneux
2021.04.10 Marseille
Vu à
Galerie Michel Rein Paris
du 05.02 au 19.03.2022