Vue de l'exposition Lointains de Bernard Calet. La Maréchalerie - centre d'art contemporain / ÉNSA Versailles, 2025.Crédit photographique : Nicolas Brasseur.
À travers Lointains, installation d’installations présentée à la Maréchalerie, Versailles, l’artiste Bernard Calet interroge la manière dont l’humain contemporain habite son monde.
Fidèle à sa méthode, parfaitement décrite par Alain Coulange : « donner à un agencement une fonction et un sens, c’est-à-dire y introduire une pensée incluant une part instinctive ou fictionnelle, variable ou variante dans tous les cas de l’invention réflexive qui se faufile à travers son œuvre depuis une trentaine d’années.[1]», Bernard Calet présente son exposition conçue pour la Maréchalerie comme une seule installation in situ, qu’il nomme une « installation d’installations » puisqu’y sont disposés différents objets artistiques — fragments de nature et fragments d’architecture qui s’imposent par leur évidence subtile. Comme un ricochet visuel dont au fur et à mesure de la visite on reconstitue les éléments d’un puzzle en réactualisant nos notions sur l'histoire de l'art. Le format en abyme, devient progressivement un environnement à part entière où les différentes œuvres exposées personnifient des catégories d’objets qui peuplent notre monde contemporain de manière proche ou éloignée.
Pour Bernard Calet, invoquer les « lointains » c’est nous conduire jusqu’aux limites de « notre » monde — celui dans lequel nous évoluons, qui nous fournit tout ce dont nous avons besoin pour vivre : l’oxygène, les minéraux, les végétaux. Il situe ces Lointains dans la « zone critique », terme issu des géosciences qui désigne la fine couche située entre les roches et le ciel, zone qu’il faut préserver pour maintenir l’habitabilité sur la Terre de l’espèce humaine. Le titre donné par l’artiste se lit en tant que dialogue entre la présence et la science, au moyen duquel, par sa colonisation, l’humain — principalement l’architecte, l’ingénieur, le scientifique, l’artiste — dissocierait ce qui était auparavant symbiotique pour se placer au centre de l’action en rompant un équilibre initial.
Par notre statut de spectateur nous sommes au centre de la représentation. Notre regard circule de façon panoramique, s’arrêtant sur les couleurs, - nuances subtiles de blanc, de crème et de gris béton -, la diversité des formats, les positions verticales, hautes, basses, l’échelle micro et macro. Se révèle un écosystème, et même un écho-système où se conjuguent la terre, les reliefs, les organismes vivants, l’eau, le ciel…
Les éléments de cette composition abolissent les notions de perspective, installent, au cœur des représentations, une impression de faux-vrai qui décrit notre va-et-vient permanent entre le monde de plus en plus artificiel, fait de « la main de l’homme », et notre accès par fragments à la nature « sauvage ». Les objets ont été créés par Bernard Calet en atelier ou enregistrés sur le vif dans la nature.
Face à l’entrée, notre œil perçoit en premier une structure en métal tubulaire, intitulée Relief, puisque placée devant la fenêtre elle s’élève jusqu’au ciel. Sa forme tétraédique fait référence à celles qui ont servi à dresser les nombreuses montagnes artificielles construites par l’homme au XIXe siècle et qui ont transformé le relief de certains paysages. Bernard Calet l’a volontairement orientée dans la direction des Buttes Chaumont, en allusion au fait que construit sur des carrières de gypse le relief de ce quartier de Paris a été totalement dessiné et fabriqué.
Le Rideau de 4 mètres de hauteur, renforce l’idée d’artificialité. Son tissu sert de support à la macro-photographie représentant un morceau de falaise montagneuse, image réaliste qui montre en détail la roche et ses veines, des ruissellement de petits cailloux et des dépôts de sédiments. Cette figure nous rappelle que la formation des corps physiques que sont les masses de pierre a pris des milliers d’années. Le rideau est un écran qui sépare, se substitue à la nature et opère une sortie du cadre. En effet, sa propriété mimétique est renforcée par l’intention de l’artiste de le faire flotter, « l’image joue avec le vent dès qu’il y a un petit courant d’air, comme si la roche était animée, vibrait » observe Bernard Calet
Au sol sont posés les Modules des formes en aggloméré moulé avec du ciment qui font référence à l’habitat moderne et à son attribut de base, le pilotis théorisé par Le Corbusier pour la construction de ses unités d’habitation en béton. Invention de l’homme, pour Bernard Calet le pilotis évoque les palette qui permettent de déplacer des masses d’un endroit à un autre.
Alluvion est une vidéo sonorisée présentant en boucle sur un écran une courte séquence de surgissement d’eau chargée d’alluvions filmée à la source dans une haute montagne. Là encore les changements d’échelle, de paysage et l’écran-fenêtre impliquent d’appliquer une mise en perspective pour relier cet élément au tout.
En levant la tête on découvre des tableaux de Nuages, sérigraphiés au kaolin sur une toile peinte dans le bleu utilisé pour les fonds d’incrustation-vidéo dans les studios de tournage. Grâce aux nuances de l’argile, la lecture se modifie selon l’éclairage, la lumière et notre position.
Lointain est une grande photographie montrant un paysage sous-exposé de Lanzarote île volcanique couverte de roches en forme de cônes. Ce tirage numérique résulte d’une incrustation cuite dans la silice. Pour Bernard Calet la chaleur et le jeu du matériau crée encore une fois un écran qui suggère plusieurs façons de lire la réalité de ce paysage.
Des Pierres calcaires, originaires de Versailles, sont déposées au sol non loin d’une micro-installation nommée Archéologie du futur. Il s’agit de maquettes d’un paysage inventé par l’artiste selon un procédé de genèse. Ces petites pièces moulées dans du polystyrene sont fabriquées à partir de l’élévation de la couleur noire prélevée dans le motifs d’un tissu de camouflage. Vues en plongée les miniatures évoquent une vallée de canyons. L’artiste a poussé le raffinement jusqu’à les munir de petites poches d’air fabriquées en matériau utilisé pour les couvertures de survie.
C’est à une méditation profonde sur la façon contemporaine de concevoir nos lieux de vie et la question de leur intégration dans les concepts de paysage et nature qu’on a crus éternels, que nous renvoie Bernard Calet. Lointains exprime à quel point notre société se décale de plus en plus de ses notions sur l’environnement naturel pour basculer dans des fictions transitionnelles, où les impressions de vrai et de faux cohabitent dans une ambiguïté aussi étrange que fascinante.
Anne-Marie Morice
15 novembre 2025
Vu à
La Maréchalerie
Centre d’art contemporain/ ENSA Versailles
Du 02/10 au 14/12/2025



