siloScope

Lab[au] (Manuel Abendroth, Jerome Decock, Els Vermang)
  • siloScope©Lab[au], 2015
  • siloScope©Lab[au], 2015
20 droites en inox poli, rotation de 135 degrés, hauteur 20 m, diamère 4 m, leds rouges ou blanches, microphones

 

 

Intégrée au paysage dessiné par le fleuve, la sculpture monumentale, le siloScope, du collectif d'artistes Lab[au], marque depuis 2012 une porte d'entrée sur la ville de Vitry-sur-Seine. La colonne élève ses tiges souples d'aluminium, ses obliques torsadées qui s'entrecroisent jusqu’à son faîte, comme un jeu de Mikado géant saisi juste avant le moment où on ouvre la main pour que les bâtonnets retombent en formant un cercle. Instant suspendu, formes en devenir, qui déjouent tout soupçon d'élévation orgueilleuse. Posée entre les cheminées jumelles de la Centrale thermique et le point d'affluence de la Seine avec la Marne, légère, aérée, spatiale, la sculpture s'insère finement dans le paysage urbain en pleine transformation. Les vingt axes qui forment sa structure dialoguent avec toutes les directions, ciel compris. Ils découlent d'un savoir-faire de sculpteurs combinant science et interaction. Les formes d’art du groupe reposent sur l'auto-similarité et le réductionnisme, ou réduction de leurs éléments constitutifs dans une forme singulière qui dialogue avec son environnement .

 

Questions de mesures : la structure en métal est constituée de vingt barres minces, teintées en noir et blanc. Ces droites évasées à leur base s’élèvent tout en tournant autour d'un axe, le tour de vis progressif provoque dans la partie supérieure un rétrécissement de la forme puis un nouvel évasement. Dix d'entre elles sont orientées dans le sens des aiguilles d’une montre et dix dans le sens contraire, chacune d'entre elles décrit sa propre orientation dans l'espace. Les axes se structurent dans un système d’hyperbole ce qui, en géométrie euclidienne, qualifie la caractéristique de tendre vers l'impossible. Mais outre la référence à la vision, en programmation informatique le scope (appelé ‘portée’ en français) signifie aussi un contexte où des valeurs s’associent. 

 

Jouant de la légèreté de son assise, et de la position du regardeur, la sculpture est pénétrable, les pleins et les vides s'y assemblent équitablement créant une œuvre ouverte aux quatre éléments naturels et à un cinquième élément, invisible, celui de l'information. Car les lignes sont équipées de led-rgb reliés à des capteurs sonores disposés en triangle. La direction et la vitesse des sons urbains, dont ceux du trafic routier, sont décelées, analysées et restituées, la nuit, par des motifs de lumière. Ceux-ci rendent visibles les processus invisibles et constants qui génèrent les données d'information, celles que la ville produit dans l'environnement de l'oeuvre. 

 

Le siloScope est une œuvre d'art encore plus singulière qu'elle ne paraît. Elle n'est ni autonome ni automatique comme ont pu paraître l'être certaines œuvres de l'art cinétique des années 60, car, par sa composante cybernétique, elle garde une part d'indétermination. Ce qui en fait, malgré sa rigueur formelle et sa monumentalité verticale , une « œuvre ouverte », un terme proposé en 1961 par l’artiste Nicolas Schöffer1, pour définir le registre « d'informelle abstraction » qui caractérisait son esthétique2.

 

Cette utilisation que fait Lab[au] de la lumière est emblématique des changements d’assignation que les technologies permettent d'introduire dans l'art. Traditionnellement en art, la ou les lumières sont conçues pour orienter le regard vers les sujets de la composition afin de rendre plus lisible les intentions de l'artiste. Or les lumières générées par les œuvres du collectif Lab[au] sont multi-directionnelles, imprévisibles. Elles ne concentrent l'attention que pour mieux la disperser ensuite, au-delà du cadre, tout en conservant leur pouvoir de persistance rémanente. De sculpture le siloScope devient objet d’architecture, colonne surgissant de la terre, édifice dont l’effet de grandeur est soutenu par la simplicité des surfaces, l’économie des lignes. 

 

L'analogie entre les flux d'information et le flux de l'eau se retrouve souvent chez Lab[au]. En 2008, responsable alors du Centre d'art Synesthésie, j'ai eu la chance d'initier l'un de leurs projets les plus marquants flux/Binary wave qui réunissait ces deux éléments, l’onde et la vitesse, dans une sculpture spectaculaire qui a transformé totalement le paysage urbain disparate de la Gare de Saint-Denis. Ce projet à composantes métallique et numérique, interactif par le mouvement et la lumière, a été présenté pendant un mois3. Ce fut le début pour eux d'un cycle de recherches formelles, esthétiques et scientifiques et de production. Ce fut aussi un moment très intense pour nous car l'installation dans ce lieu dégradé d'une œuvre décalée, mais puissante et radicale, a généré une forme d'empathie esthétique très forte de la plupart des habitants qui auraient souhaité la garder de façon pérenne. Un thème revenait souvent chez les personnes avec lesquels l'équipe de Synesthésie s'entretenait : l'oeuvre symbolisait les transformations qu'ils souhaitaient pour leur ville et pour eux-mêmes. 

 

Le siloScope entretient une relation architectonique particulière avec le paysage urbain contemporain. Oeuvre phénoménale, elle tisse des affinités au sein d’un mouvement permanent et se détache sur un horizon qui ne s'offre pas comme profondeur mais comme un espace fluide sans extrémité. 

 

 

Anne-Marie Morice

1 Artiste phare de la cybernétique auquel le collectif Lab[au] se réfère

2 Arnaud Pierre, catal. Nicolas Schöffer, rétrospective, Mücsarnok, 2015

3 Dans le cadre de la Biennale Art Grandeur Nature en Seine Saint-Denis, en 2008

 

 

Vu à 

Quartier du Port-à-l’Anglais

Quai Jules Guesde,

Vitry-sur-Seine (94400)