Respiration silencieuse

Maria Ibanez Lago
  • linaria ©Maria Ibanez Lago 2022
  • Chimaphila ©Maria Ibanez Lago 2022
  • Violette de Cry©Maria Ibanez Lago 2022

Respiration silencieuse : Linaria chalepensis, bannière, impression en sublimation, broderie, franges, 90 cm x 120 cm, 2019. Chimaphila umbellata, bannière, impression en sublimation, broderie, franges, 120 cm x 110 cm, 2019. Violette de Cry, bannière, peinture et broderie argent sur pièce textile, perruque, 70cm x 40cm, 2021.

 

La série de Maria Ibanez Lago, Respiration silencieuse, résulte d’une réflexion sur les espèces végétales menacées, et la nécessité de combattre la cécité botanique

En 1964 voit le jour de la « Liste rouge des espèces menacées » de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui, depuis lors, vise à informer de manière aussi exhaustive que possible sur l’état mondial de conservation des espèces, en les classifiant selon leur degré de conservation dans chaque territoire.

En 1999, Elisabeth Schussler et James Wandersee, botanistes, ont forgé l’expression « cécité botanique » (plant blindness) pour désigner le phénomène d'ignorance croissante envers les plantes, leurs caractéristiques et usages, et la perte de notre capacité à les reconnaître et à les différencier. Cette perte résulte de l’urbanisation croissante et de pratiques culturelles qui sciemment ignorent l’interdépendance avec l’environnement. »

Dans l’œuvre de Maria Ibanez Lago, ces deux outils se conjuguent pour faire le point sur ce patrimoine végétal. Pour elle, le regard artistique offre une double possibilité de réflexion sur la question tout en déclarant l’état d’urgence. Bien qu’il y ait 61 000 espèces recensées dans la Liste rouge de l’UICN, ce chiffre ne représente que 14% des plantes connues dans le monde, d’autant plus que les listes ne sont pas tenues à jour dans tous les pays et que certains d’entre eux n’ont pas pu encore les élaborer.

En travaillant à partir des espèces de cette flore vasculaire1 de France métropolitaine qui est en état critique, Maria Ibanez Lago porte notre regard sur ces plantes qui n’étant pas vendues par les fleuristes, ne sont pas connues du grand public et deviennent invisibilisées. Ses dessins présentent le schéma géométrique de leur structure, en intégrant des données purement botaniques. Les images photographiques des espèces choisies, imprimées sur tissu, prennent la forme d’étendards. Cette forme d’emblême symbolise la fonction de communication aussi bien que le caractère de dénonciation attribué historiquement à cet objet. Elle donne voix à ceux qui ne sont pas écoutés, transférant de la sphère privée à la sphère publique ce qui a besoin d’être énoncé. Associant image et parole, les étendards agissent en tant que puissant dispositif de visibilité, séduisants par le satiné de leur surface, par leurs franges ondulantes et leurs couleurs irisées, attirants et captivants mais aussi menaçants qu’une pierre lancée.

Ce sont des bannières de lutte pour la biodiversité qui se dressent avec un esprit festif. Elles sortent de l’oubli et de l’ombre, des idéaux qu’elles exposent sur la place publique, employant des recours baroques pour attirer l’attention et gagner ainsi de nouveaux adeptes à la cause.

Bien que les silhouettes estompées et l’aspect quelque peu fantasmagorique des représentations botaniques laissent à penser que la dimension de célébration est en train de se diluer, l’iridescence de la toile soutient la précision du message. Comme un chant de sirène, le côté chatoyant et carnavalesque des étendards attire le regard jusqu’à faire presque oublier l’état d’urgence. Mais aussitôt la gravité devient incontournable, car il en va de la maîtrise de l’artiste de nous faire osciller entre l’urgence et la jouissance esthétique.

Les problématiques du changement climatique ont cessé d’être des dangers potentiels pour devenir des faits concrets et palpables qui, compte tenu de l’urgence de la conjoncture, exigent des propositions créatives et des voies de résolution qui ne peuvent venir d’une seule source de connaissance. C’est pourquoi dans cette quatrième édition de la Biennale d’art et technologie (BIT), qui a pour sujet « Humanité disruptive, Le défi de la civilisation », le projet de Maria Ibanez Lago prend tout son relief et devient un outil à usage multiple : réflexif, déclaratif et dénotatif.

 

María Lightowler

Madrid, novembre 2022

1Organismes possédant des tissus conducteurs de sève

 

Vu à

Maison de l’Argentine de la Cité Universitaire

27A Bv Jourdan, 75014 Paris

Du 22 Novembre au 2 Décembre 2022

Dans le cadre de la Biennale d’Art, Science et Technologie, 4e édition, organisée par l’Université de Mar del Plata, Argentine.