Les oxymores de la Raison

Kader Attia
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18 écrans plats, 18 boxes, Création Biennale 2015
 
Comment l'art peut-il rapprocher ce que l'on perçoit d'habitude comme étant éloigné ? Pourquoi la raison cartésienne est-elle battue en brêche par le virtuel ? Dans cette installation, en retravaillant le tissu historique, la trame, et la métabolisation de la culture, l'artiste Kader Attia entend répondre à ces questions. Sa recherche se veut révélatrice des cicatrices de l'histoire, son acte créateur espère nous faire entrer sur la voie de la réparation par la réapropriation.

Installé au cœur de ce qui ressemble à un espace de travail, cloisonné en boxes par des semi-parois, l'installation Les oxymores de la Raison de Kader Attia est constituée de 18 vidéos diffusées sur des moniteurs posés sur des tables de bureau. Les attentats du 7 janvier 2015 à Paris ont inspiré ce travail. Le public est placé dans la position d'un archiviste qui enquêterait sur les approches différentes des cultures occidentales et extra occidentales par rapport à la psychiatrie, à la blessure mentale, au traumatisme ainsi qu'à des blessures plus profondes liées à l'identité. L'artiste a rencontré des spécialistes de la psyché, praticiens occidentaux (philosophes, ethnologues, historiens, psychiatres, psychanalystes...) ou pratiquant d'autres types de thérapies (guérisseurs, fêticheurs, griots...). 

Ces scrutateurs de ce qu'on ne sait pas localiser, objectiver : l'esprit humain, l'âme, l'art, mêlent explications rationnelles et subjectives. Il y est question aussi bien du travail sur les maladies mentales à travers les sciences, que de la notion freudienne de l'inconscient, de Georges Devereux, Tobbie Nathan, et de la notion d'« anthropophagie culturelle » du poète brésilien Oswald de Andrade, de pratiques rituelles, de sorcellerie, de magie. 

Ces discours mêlés créent un essai comparatif sur la pathologie psychiatrique telle qu’elle est perçue dans les cultures extra-occidentales traditionnelles d’une part, et dans les sociétés occidentales modernes d’autre part. Ils révèlent la complexité de la psyché et de ce qui s'articule entre l'inconscient et le conscient. On touche là, la dialectique complexe entre modernité et tradition. La croyance en la raison absolue, dont la psychanalyse est un élément très critique, co-habite avec les croyances, la spiritualité, la tradition, ce qui précède et perdure à côté de la raison.

Les entretiens portent aussi sur l'observation des pratiques non-occidentales qui se réapproprient des objets symboliques de la modernité (capsules de Coca Cola, insignes de pouvoir, etc) pour les réutiliser dans les bijoux, les masques. La réappropriation sert à réparer, à mettre en dialogue les blessures humaines du corps et la manière dont il peut s'exprimer dans cette utilisation. Il ne s'agit pas de construire un quelconque mythe du parfait qui pourraît faire disparaître la blessure mais de donner à l'objet réparé un nouveau départ.

A ces pratiques l'artiste donne un nom « sculpter l'immatériel ». La pièce s'inscrit également dans une réflexion sur la virtualisation du monde contemporain.  Car, tout en poursuivant notre idée d'assumer la modernité, qui devient en somme notre tradition, nous nous acheminons lentement vers une virtualité encore plus invasive, une numérisation qui « estompe, dit Attia, l'aspect physique des choses.  Qu'est-ce qui nous attend en fait avec la disparition du tactile. Que va-t-il se passer ? »[1]

Anne-Marie Morice

Site officiel de Kader Attia : http://kaderattia.de

Vu à la Biennale de Lyon 2015 (10 septembre 2015 au 3 janvier 2016)
Exposition La vie moderne, La Sucrière
 
[1]  France culture Ping pong du 10/09.2015