Micro-intervention collective sur le mausolée communal, 2019.
Dans notre ère paradoxale, les prestigieuses notions de patrimoine et de territoire doivent coexister ou se conjuguer avec des éléments inédits comme des « pôles attractifs » ou des « liaisons rapides ». Mais, au lieu d’aller vers l’espace du global, c’est dans les interstices du Parc naturel régional du Gâtinais, dans un entre-monde de nature et de culture qu’Helena Le Gal & Marie Bretaud ont déployé un projet qui vise à juguler l’entre-soi. Prêtant attention aux intervalles, aux fractures discrètes, muettes, elles les ont fait parler dans un geste collectif, avec un clin d'oeil au Kintsugi japonais. Ce temps de résidence-mission art-architecture a duré 2 ans. En se faufilant entre les fissures elles ont modélisé et offert en partage un ensemble de soins consolidant et plaçant la beauté du passé au coeur de la proximité d’aujourd’hui.
L’une des micro-interventions revivifiantes des « Ebréché.e.s » s’est portée sur le mausolée du cimetière de Chailly-en-Bière, dont les murs sont rongés par l’érosion. De concert avec leur public-acteur, les deux artistes ont agencé une constellation de quartz blanc, de marbre noir et de pierres semi-précieuses utiliisées dans les parements d'autres cultures funéraires : le bleu égyptien ou lapiz-lazuli, l'oeil de tigre et l'aventurine. Les gestes et les choix ont trouvé prise avec le minéral pour créer des entrelacs qui brillent au soleil et illuminent la pierre. Ces figures de l’entrecroisement font écho aux mots de Théodore Rousseau1 : « On sent et on traduit un monde réel dont toutes les fatalités vous enlacent ».
En effet, les membres de l’école de Barbizon se gorgeaient d’observations sensorielles. Mais ils plaçaient aussi l’élément humain, le travail des champs, les petits gestes du quotidien, dans leur approche picturale. Par ailleurs dans la vie sociale ils se mobilisaient contre l’arrachage des arbres, et pour la préservation de la nature. En simultané au chantier, une association d’histoire et de critique d’art a, l’espace d’une après-midi, donné corps à ces grands aînés, artistes et militants (déjà !), gardiens tutélaires de cette terre agricole et sylvestre.
Evoquer le patrimoine c’est convoquer une narration qui s’écrit visuellement pour mettre en ordre la mémoire et ainsi nous permettre d’articuler un passé structuré avec un « nouveau », ouvert et inconnu. Ce « nouveau » s’immisce là où il y a possibilité de l’accueillir. Car souvent on ne voit pas venir l’inédit, il se présente comme une évidence alors qu’on ne s’y attend pas. Mais on l’accueille et il se combine avec l’existant.
Il a fallu de la créativité et une bonne dose de convivialité pour s’emparer des grands récits et satisfaire les sensibilités en réparant les préjudices du temps. Par ce chantier esthétique la pensée symbolique s’est exercée autrement. Ce lien établi avec le lieu, et la communauté qui le côtoie, a permis de porter à l’épanouissement un présent singulier sans faire revivre l’histoire de façon littérale. Ainsi le travail de l’art et de la connaissance sensible peuvent inciter à suivre de nouvelles voies, dynamiques et rhizomatiques, là où règne la torpeur tranquille des certitudes séparées.
Anne-Marie Morice
Texte publié dans le livre qui retrace cette résidence
1Pierre Etienne Théodore Rousseau (1812-1867), peintre de l’école de Barbizon, est enterré à Chailly-en-Bière ainsi que Jean-François Millet, Karl Bodmer, Léon Joseph Pierre Delambre, François Desportes, Georges Jean Baptiste Gassies, Gaston Lafenestre.
Vu à
Cimetiere de Chailly-en-Bière (France)