Le pays dans la manche, 2015, 2018. Tirages photographiques pliés, chevalets en bois articulés.
Lydie Regnier crée des structures hétéromorphes pour rendre compte du monde dans lequel elle se situe. Pour elle, la réalité est une histoire de lumière, de mouvement, de couleurs et de formes. On ne la voit vraiment qu'en se déplaçant. Fixer cela au moyen d'une seule image serait bien difficile.
Ainsi en est-elle venue à l'ambition de capter et de réunir plusieurs fragments de paysages pour en faire une figure globale. Ces vues, elle les a prélevées au cours d'une expérience dans la nature où son corps s'est mis à l'épreuve. Elle a procédé à la « saisie d'un flux » comme le dit Samuel Aligand1, lors d'un voyage en vélo au bord du canal de Bourgogne au cours duquel elle a photographié des sites en rafale, tout en pédalant. Reste à mettre en relation ces photographies et leurs spectateurs en trouvant la bonne « adéquation entre des états intérieurs, des matériaux, des images et des gestes » pour restituer au plus près l'événement intime de la perception.2
En résulte cette installation3où Lydie Regnier a agencé images et supports et fait appel à plusieurs généalogies d'iconographies. Le déploiement de ces formes dans l'espace implique un travail sur le dessin et le volume pour composer une relation entre les pièces. Les images incarnent, dans un dispositif allégé et aérien, des griffures du réel, alors que nous nous immergeons dans un ensemble spatial de onze pièces construites en référence au modèle japonais du Tagasode.
En effet, par les pliures géométriques du support papier sur lequel elles sont reproduites, les images elles-mêmes deviennent matérielles. Comme des papillons géants, elles sont posées délicatement sur des chassis articulés en lignes brisées autour desquels elles se rabattent. Cet arrangement a été inspiré à l'artiste par la découverte, dans l'exposition « Images du monde flottant », des paravents Tagasode; un genre pictural dans les estampes du XVIIe-XVIIIe siècle. Sur leurs panneaux étaient représentés des fragments de somptueux kimonos aux motifs végétaux que des courtisanes avaient ôtés. Pliés ou posés en drapé sur des porte-vêtements à tel point qu'ils en devenaient abstraits ces Tagasode incitaient à imaginer les corps.
De même, dans l'installation Le pays dans la manche, la présence naît de l'absence et le spectateur est invité à rêver le paysage. La formation mentale de l''image se fait de façon tridimensionnelle, les déplacements révélant les points de vue.
Par cette proposition, Lydie Regnier produit des images qui se façonnent en cintre en corrélation avec l'objet qui les présentent. « Se confondre exactement »4, s'apparenter, faire en sorte que « les formes apparaissent progressivement, sans anticipation de résultat et en laissant une part au hasard. 5» sont également autant de façons pour l'artiste de rendre présents les corps opérant dans l'espace de l'oeuvre.
Anne-Marie Morice
Vu à
Sous les pavés les arbres
Aubervilliers
Parcours artistique
Les 6, 7 et 8 juillet 2018
1Commissaire de l'exposition Bruit Rose, au POCTB, Orléans, 12 avril – 13 mai 2018
2Lydie Regnier
3Présentée pour la première fois à la Maison de Bourgogne de Mainz en 2015
4Titre d'une exposition de Lydie Regnier en hommage à Bernard Point à la Galerie du Haut-Pavé en 2013.
5Lydie Regnier