La Rose de Jéricho

Aurélia Zahedi
  • La Rose de Jéricho  © Aurélia Zahedi, 2024
  • La Rose de Jéricho  © Aurélia Zahedi, 2024
  • La Rose de Jéricho  © Aurélia Zahedi, 2024
Légendes photos : 1 - En attente de boire la lune, coffre cérémoniel en verre, Anastatica Hierochuntica L., 47 x 47 x 50 cm, 2023. Crédit photo : Tanguy Beurdeley - 2 - Reste les songes à boire, peinture sur papier, 38 x 27 cm, 2024, Crédit photo : Aurélia Zahedi - 3 - Réveil de la Rose de Jéricho, série, encre de Chine sur papier, 33 x 41 cm, 2018 à aujourd'hui. Crédit photo : Tanguy Beurdeley
 

La Rose de Jéricho prend forme telle une œuvre à partir de laquelle d’autres éclosent. Depuis 2015, Aurélia Zahedi réfléchit au lien de cette plante au territoire de Jéricho. Sa recherche a démarré à partir d’un minutieux inventaire bibliographique relatant toutes les allusions scientifiques et légendaires associées à la Rose de Jéricho.

Elle admet alors l’existence de trois plantes différentes dans le monde appelées « Rose de Jéricho ». Celles-ci ont les mêmes propriétés mais sont de genre et d’espèce différentes : La Selaginella lepidophylla Hook & Grev, de la famille des Sélaginellacées, une fougère, vit dans le désert du Chihuahua, entre le Mexique et les Etats-Unis. L’Asteriscus pygmaeus Coss & Durieu, de la famille des Asteraceae, vit aux alentours de la mer Morte jusqu’en Syrie. L’Anastatica hierochuntica L, de la famille des Brassicaceae, vit en Afrique du Nord jusqu’à la mer Morte.

« Les scientifiques se sont longtemps disputés la "véritable" Rose de Jéricho en voulant à tout prix en définir une parmi les trois étudiées (En 1852, L’abbé Jean Hyppolyte Michon, prêtre et archéologue français, publie un texte dans lequel il dénonce une grande erreur du plus important naturaliste suédois Karl Von Linné, qui aurait fait tromper la science. « C’est une reine que je restaure sans trop de fracas, sur son trône »). Parmi ces trois spécimens éloignés géographiquement, je constate que malgré leur nom, aucune ne croît à Jéricho en Palestine. Puisqu’il en est ainsi dans les livres et dans les imaginaires, en m'inspirant de ces trois plantes, je rêverai la Rose de Jéricho à Ariha/Jéricho, ville palestinienne. J’essaie de prendre une autre direction en essayant de ne pas définir une "véritable" Rose, qui énoncerait une forme de vérité mais plutôt une Rose qui les convoquerait toutes. » précise Aurélia Zahedi.

Cette plante sacrée habite sur la terre des trois puissantes religions monothéistes et c’est ainsi qu’à chaque voyage en Palestine, l’artiste ne prémédite pas de projets spécifiques. Elle fait confiance aux rencontres et suit les conseils des bédouins de Nabi Moussa, fervents connaisseurs du désert Sahra’charg al-Quats à l’est de Jérusalem. Depuis 2018, elle témoigne de ses voyages qu’elle condense en une série de Cartes postales La Rose de Jéricho.

Chaque moment de découverte de cette rose, plante couleur de ces terres, perdue dans le désert, quasi invisible, est considéré comme un instant mystique : La Rose de Jéricho s’ouvre au contact de la pluie. De fait, sa série de dessins à l’encre Reveil de la Rose de Jéricho réalisée depuis 2018 révèle la vitalité évanescente de ce mystérieux végétal.

Pour l’artiste, cette rose raconte, sème, dépose ses graines et préserve son immortalité. En laissant parler cette plante nomade, elle perçoit une forme de résistance, d’espoir, de récits d’une vie qui resurgit malgré les frontières physiques et immatérielles. Chaque œuvre qui germe à partir de cette rose, notamment des reliques (des sculptures en verre soufflée contenant de la terre prélevée d’un territoire ou de l’eau, précieuse en ces terres désertiques), sollicite une expérience de recueillement, de silence, une posture bienveillante : un retour à une forme de sacré. A partir de ce végétal, des enjeux sociologiques, des tentatives de préserver une culture ancestrale et de mettre en lumière des mythes enfouis se déploient à la manière de ramifications. Dans un contexte marqué par le conflit et la peur de l’autre, l’œuvre d’Aurélia Zahedi constitue une porte ouverte vers des imaginaires. Elle tend à « effacer les frontières entre la réalité et la fiction, la croyance et la vérité ».

La Rose de Jéricho prend également la forme d’une cérémonie, un moment précieux lors duquel l’artiste et les participants entretiennent une proximité avec cette plante. Avec son complice bédouin Saqer S. H. Alkawazba, elle réveille la rose. Volontairement non filmée, ni enregistrée, cette cérémonie n’existe que dans la mémoire de ceux qui la vivent et qui la racontent. Pour l’artiste, il s’agit de préserver l’aura de ce végétal. Les participants sont alors incités à faire confiance en leur mémoire et à être pleinement présents, attentifs à la renaissance de cette plante immortelle.

Ainsi, la Rose de Jéricho est un projet qui relève du poétique et du politique : il incarne la résurgence, la résilience, la vie qui revient et dépasse les difficultés quotidiennes.

Cette œuvre aux formes multiples émane d’une artiste généreuse qui tend à maintenir un équilibre entre la vie et la mort, ainsi qu’à préserver la beauté éphémère du vivant végétal. Aurélia Zahedi cultive l’accueil, le lien avec l’autre, la convivialité, une organisation où tout un chacun peut se retrouver à Maison Auriolles, dans le Lot-et-Garonne.

 

Pauline Lisowski

 

Vu à l’Institut des cultures de l’Islam

Paris

Du 20 janvier au 30 juin 2024

https://www.institut-cultures-islam.org/expositions/la-rose-de-jericho-a...