Galleria

Eva Jospin
  • Eva Jospin - 2021 © Musée de la Chasse et de la Nature – Photographie Béatrice Hatala - ADAGP, Paris, 2021
  • Eva Jospin - 2021 © Musée de la Chasse et de la Nature – Photographie Béatrice Hatala - ADAGP, Paris, 2021
  • Eva Jospin - 2021 © Musée de la Chasse et de la Nature – Photographie Béatrice Hatala - ADAGP, Paris, 2021

Installation carton et colle, hauteur : 4 m, 2021 © Musée de la Chasse et de la Nature – Photographie Béatrice Hatala - ADAGP, Paris, 2021 

 

Depuis ses premières œuvres dans lesquelles nous étions invités à entrer pour contempler un paysage de forêt, Eva Jospin continue d’utiliser le carton pour créer des installations dont on peut faire l’expérience. Dix ans après avoir présenté sa Forêt au Musée de la Chasse et de la Nature, œuvre acquise par celui-ci, une carte blanche lui fut proposée du 16 novembre 2021 au 20 mars 2022. La forêt constitue un sujet que l’artiste poursuit : des sculptures, des bas-reliefs qu’on longe et face auxquels on peut rêver et s’emporter dans des lieux lointains.

De l’extérieur, Galleria, mesurant près de 4 mêtres de hauteur, ressemble à une grotte sur laquelle des lianes et d’autres végétaux semblent recouvrir les parois. Sur le côté, nous longeons une forêt sculptée. La nature aurait-elle pris le pas sur l’architecture ? Jusqu’à la voûte, Eva Jospin s’est attachée à sculpter chaque détail de son architecture, semblant sortie d’un conte de fées. 

L’artiste déploie un savoir-faire qu’elle cultive au fur et à mesure de ses invitations à créer spécifiquement pour des lieux aussi bien extérieurs qu’intérieurs. Possible passage, cette installation nous invite à y pénétrer et à observer la richesse de détails et d’ornements qu’elle crée avec finesse. Son titre fut choisi en raison des différentes significations que le mot Galleria a en italien : à la fois tunnel, galerie d’art et passage couvert. On pense à des lieux de différentes époques, telle la galleria Vittoria Emanuele à Milan ou les passages parisiens.

L’étroitesse de sa Galleria nous incite à nous approcher de chaque caisson sculpté qui ouvre sur un monde féérique. Un changement d’échelle s’opère et des détails architecturaux délicatement reproduits, des décors de voutes, des dessins de grottes se donnent à voir ainsi que des paysages réalisés en fils colorés.

Eva Jospin s’inspire notamment des studiolo, ancêtres du cabinet de curiosités de la Renaissance italienne, lieu à soi. Rappelons que l’artiste, ancienne pensionnaire de la Villa Médicis en 2017, s’est imprégnée de la culture et de l’histoire de l’art en Italie. L’artiste associe gestes forts, bruts et très délicats pour créer son œuvre, incarnant le lent travail de la nature. 

Elle joue sur l’effet trompe-l’œil, sur les relations entre les architectures et les formes de la nature. En effet, Eva Jospin s’est nourrie de son intérêt pour les jardins baroques italiens où règnent l’impression de mouvement et d’une théâtralité : « L’ambiguïté qui y règne entre nature et fausse nature (les grottes artificielles), architecture et fausse architecture (les édicules en végétaux factices) créé une porosité que j’aime suggérer dans mes œuvres1. » On songe à la Villa d’Este et au jardin de Bomarzo en Italie, jardins qui suscitent l’émerveillement et dans lesquels on peut contempler de puissantes formes architecturales et sculpturales, fabriques, grottes et nymphées. Chaque élément, forme découpée et ensuite assemblée constituant son installation a fait l’objet d’un travail quasi de l’ordre de l’orfèvrerie, d’une grande patience, celle du jardinier. D’ailleurs, l’artiste avoue lors d’une rencontre avec Emanuele Coccia, son rêve de faire son jardin2.

Eva Jospin sculpte le carton, y dessine chaque élément en explorant ses potentialités. Elle crée un décor, une mise en scène pour un potentiel récit. Entrer dans sa Galleria invite à être happé du regard par l’extraordinaire finesse des découpes et par la profusion de formes dessinées. « Le sens visuel est facile à troubler. Par une saturation de détails, on crée de l’invisible à force d’embrouiller les motifs3. » explique l’artiste. L’expérience de son œuvre relève en effet de la surprise et d’une projection dans un lieu où nous sommes incités à percer les secrets. Un certain exercice d’une concentration du regard est alors demandé au spectateur. Cette installation fait notamment écho aux salles de l’hôtel particulier qu’occupe le musée, chacune pouvant être le lieu de fines observations d’œuvres, disposées à la manière d’un cabinet de curiosités. 

Si, l’œuvre d’Eva Jospin invite à réfléchir à l’imaginaire de la forêt comme habitat, milieu, qui suscite des questionnements liés à la préservation de la biodiversité, Celle-ci invite d’autant plus à s’interroger sur le monde qui nous entoure, à sonder les œuvres de l’histoire des jardins et de l’architecture afin d’interroger la manière dont nous bâtissons. 

Enfin, sa Galleria conduit à un voyage à travers les lieux, les époques, à un va-et-vient du regard d’un paysage forestier à des fenêtres ouvertes sur des éléments architecturaux ou sur des vues d’une nature foisonnante, dont on apprécie chaque détail : un palimpseste de références architecturales, à l’histoire de l’art italien, dans une œuvre foisonnante de formes sculptées et dessinées. 

 

Pauline Lisowski

 

1 Entretien avec Raphaël Abrille, dossier de presse de l’exposition Galleria, p. 17.

2 L’art de la forêt, discussion avec Emanuele Coccia, le 15 décembre 2022

3 Entretien avec Eva Jospin par Lancelot Hamelin, Artpress n°496, février 2022, p. 33.

 

Oeuvre vue à

Musée de la Chasse et de la Nature (Paris)

16 novembre 2021 - 20 mars 2022