Forest, 2008 - 09, 2009, 88 porte-bouteilles en métal et un porte-bouteilles en néon, photos Galerie Tschudi, Vistamare/Vistamarestudio et Michele Humbert
De l’indifférence à la différence : une iconographie inframince
En 2017 Bethan Huws installe dans le grand espace de l’exposition Unlimited de l’Art Basel Forest, un assemblage de quatre-vingt-huit Porte-bouteilles. Depuis 2005 les séchoirs retiennent l’attention de l’artiste galloise. « Mon premier Porte-bouteilles est un néon au gaz Argon gris-bleu » souligne-t-elle. Assimilé à l’aspect du porte-chandelle, devenu lumière, serait-il la métaphore d’une pensée qui éclaire le chemin de l’artiste? « Je l’ai d’abord utilisé comme accessoire dans “The Chocolate Bar” (2005/06). Un film dans lequel le ready-made, telle une apparition, semble provenir de l’espace, voire de l’esprit de Duchamp, précise-t-elle. Peu à peu elle remarque une « différence » d’un objet à l’autre. « En cherchant aux Puces de Saint-Ouen d’autres Porte-bouteilles, je découvre petit à petit, que Duchamp lui-même a choisi différents modèles (…) En poursuivant ma recherche dans le but de collectionner tout type de Porte-bouteilles, j’en trouve plus que je ne pensais jusqu’à arriver à découvrir le modèle le plus ancien, entièrement fait en bois, semblable à un arbre».
Un Porte-bouteilles est une structure métallique généralement en fer galvanisé, résistant plus ou moins à l’humidité, formée, dans la majorité des modèles, de plusieurs cercles concentriques superposés dont la taille diminue à mesure que la structure s’élève. Il est agrémenté de nombreuses tiges métalliques fixées à la verticale, de manière légèrement oblique. Ils sont de plusieurs grandeurs, d’une quarantaine de centimètres à environ un mètre quatre-vingt. On peut les trouver sous plusieurs appellations : sèche-bouteilles, séchoir, égouttoir ou ratelier à bouteilles, hérisson, if à bouteilles. Facilement identifiable en France, dans beaucoup de pays il est inconnu, voire méconnaissable.
Ignoré et exclu du domaine esthétique jusqu’à la première moitié du XXe siècle, dès 1914 il a été choisi comme ready-made par Duchamp, également pour sa qualité d’indifférence1. Acheté au BHV, il fait sa première apparition, « écrite » et « en famille », hors de l’atelier parisien de l’artiste, dans une lettre à sa sœur Suzanne2 de janvier 1916, devenue fameuse depuis une vingtaine d’années. « Maintenant si tu es montée chez moi tu as vu dans l'atelier une roue de bicyclette et un porte-bouteilles. – J'avais acheté cela comme une sculpture toute faite. Et j'ai une intention à propos de ce dit porte-bouteilles : Écoute. (...) Prends pour toi ce porte-bouteilles. J'en fais un « Readymade » à distance. Tu inscriras en bas et à l'intérieur du cercle du bas en petites lettres peintes avec un pinceau à l'huile en couleur blanc d’argent l'inscription que je vais te donner ci-après. Et tu signeras de la même écriture comme suit : [d'après] Marcel Duchamp. »
En 1936 le Porte-bouteilles fait pour la première fois son apparition en public grâce à deux expositions collectives. La première est présentée par André Breton à la galerie parisienne Charles Ratton. Dans le catalogue il est listé sous la rubrique des « objets mathématiques » . La même année, un article sur le ready-made signé Gabrielle Buffet Picabia est publié dans un numéro spécial des Cahiers d’art, Cœurs volants. La photographie prise par Man Ray pour l’exposition parisienne est prêtée par le directeur des Cahiers d’Art, Christian Zervos pour être publiée dans l’ouvrage d’Alfred Barr, Fantastic Art, Dada surrealism à l’occasion d’une exposition du MOMA, en décembre 1936.
Ready made réciproque : prendre un Duchamp comme une planche à repasser
On connait la phrase de Duchamp apposée à la définition du ready-made : « Readymade réciproque : se servir d’un Rembrandt comme une planche (une table) à repasser.»3 Un énoncé cryptique et interprété comme iconoclaste envers l’œuvre de Rembrandt car l'association immédiate est bien avec un ustensile domestique, une "planche à repasser". Or si on relit la phrase mot après mot, on notera que la formule est certes irrévérencieuse mais prend également un autre sens. Une "planche", c'est aussi une illustration qui donne à voir une image caractéristique. La leçon de Rembrandt est "à repasser", c’est-à-dire à apprendre. Les mêmes mots peuvent avoir un sens diamétralement opposé. C’est ce que Duchamp appelait lui-même la cointelligence des contraires.4 Que signifie alors "ready-made réciproque"? Littéralement, que Rembrandt sert de readymade à Marcel Duchamp et que réciproquement, le readymade, voire là où « y a ar de m d », c’est-à-dire là où il « y a art de m(arcel) d(uchamp), anagramme de readymade,5 sert à interpréter Rembrandt. Cette idée qui s’identifie à un oxymore, parcourt l’histoire de l’art. Duchamp s’y réfère clairement lorsqu’il dit : « comme les tubes de peinture utilisés par l’artiste sont des produits manufacturés et tout faits, nous devons conclure que toutes les toiles du monde sont des ready-mades aidés et des travaux d’assemblage."6 Nombreuses sont les « réciprocités » entre Duchamp et Rembrandt. En d’autres lieux j’ai tenté d’en donner des exemples.
Une réciprocité qui est de fait une constante de l’histoire de l’art : transmettre en réinterprétant. Le présent sert au passé de même que le passé sert le présent. Une réciprocité que Duchamp reconnaît et pourrions-nous dire appréciait lorsqu’il répond à G.G. Hamilton qui sollicitait son avis quant à l’utilisation de readymade de la part de Joseph Cornell « il y a ajouté sa propre approche. Je veux dire son invention »7.
[d’après] Marcel Duchamp : l’histoire de l’art, une histoire de réciprocité
«Tu signeras… [D’après] Marcel Duchamp » écrit Marcel dans sa lettre à Suzanne. Arrêtons-nous maintenant au « d’après ». Que signifie-t-il ? Tous les porte-bouteilles évoqueraient-ils désormais l’inventeur des ready-mades? Dans la réalité, l’existence du séchoir précède celle de Duchamp. Le « D’après » renverse l’ordre des choses, à moins que l’artiste ne veuille consciemment exprimer une « Renaissance » de l’art, de même que les artistes du Rinascimento renouvelaient l’art « d’après » l’antiquité. Ici toutefois il n’y a pas de précédent. Pour Duchamp, l’histoire de l’art ne se lit pas selon une « évolution » mais selon le principe de la réciprocité. Il donne des gages d’art au Porte-bouteilles qui existe désormais « d’après Marcel Duchamp » et, réciproquement, le Porte-bouteilles donne à son « créateur » une nouvelle vie artistique.
Rapprochons ce projet de signature de la phrase apposée à la définition du ready-made8 tout en suivant une annotation de Duchamp « Prendre un dictionnaire Larousse9 ». Consultons les Larousse de référence du début du vingtième siècle. Relevons quelques acceptions parmi les nombreuses colonnes consacrées aux mots « repasser », «planche » et « table ». Duchamp emploie indifféremment les deux expressions. Elles sont éclairantes quant à la démarche indiquée.
Planche (…) « Fig. Moyen de salut dans une situation qui semble désespérée, comme une planche est un moyen de salut pour un naufragé. (…) / Faire la planche aux autres, préparer la voie, ouvrir le chemin en donnant le premier l’exemple, dans des conditions qui pouvaient offrir des difficultés ou des dangers / Donner un premier exemple qui pourra être suivi / Gravure. Surface sur laquelle on a exécuté quelque ouvrage de gravure, pour en tirer des estampes. Estampe tirée à l’aide d’une planche gravée»...
Table «...ou rouelle d’essai : Ancien nom de deux plaques d’étain, portant les empreintes des poinçons de tous les fabricants (…) Planche, lais, morceau de métal ou de pierre, servant à écrire ou graver, d’où écrit, liste, registre, et enfin peinture sur un panneau de bois, tableau. (..) Index fait le plus souvent par ordre alphabétique. »
Repasser Passer de nouveau (ex. Repasser par le même chemin) ; Revenir dans un but déterminé (…) Cela repassera par mes mains; être rapporté, ramené, rétabli, réintégré : ce bien a passé dans notre famille après en être sorti depuis un siècle. (Acad) ; Revenir par un changement (…) ; Repasser sur, examiner de nouveau : Repasser sur les divers genres de gloire dont le monde honore la vanité des hommes. (Mass.) ; Vous avez repassé sur les mots que vous saviez, vous en avez appris de nouveaux. (Condill.) (…) traverser le pont. Examiner de nouveau un détail ; Évoquer, se représenter de nouveau ; Répéter pour fixer dans sa mémoire (…) corriger, finir avec soin, repasser la lime sur ses vers (...). »
Or qu’advient-il lorsque plusieurs hérissons sont réunis par une autre artiste? La recherche artistique de Bethan Huws répond à l’interrogatif de la réciprocité duchampienne. De même qu’il y a une relation de « réciprocité » entre Rembrandt et Duchamp, il y a une relation de réciprocité entre Duchamp et Huws. Au début du XXe siècle, Marcel Duchamp a risqué un pari. Pour le gagner il fallait non seulement des regardeurs mais aussi des héritiers. Il en a connu de son vivant, mais il ne pouvait soupçonner l’extension de l’onde de choc de ses inventions. Aussi Marcel Duchamp a-t-il gagné son pari. Or contrairement à ce que certains ont cru nous pouvons a posteriori formuler l’hypothèse que ce n’était pas acquis d’avance. Il en était bien évidemment très conscient. En 1968, quelques mois avant son décès il déclare dans une interview à l’ORTF : « Je n'ai jamais autant pensé que maintenant. Parce que pendant une période de trente ans, personne n'en a parlé, ni moi non plus. Donc, c'était un peu oublié. Et ça reparaît, maintenant. Dans cinq ou six ans, on n'en parlera plus, vous comprenez ? »
C’est dans les années 1993-95 que Bethan Huws commence à employer certains signes duchampiens. L’artiste s’étonne que pendant la période de ses études à Londres, 1981-1985, personne n’ait évoqué le nom de l’inventeur des ready-mades.
Bethan Huws s’interroge quant à la pluralité des modèles d’égouttoirs après avoir observé qu’ils sont à la fois tous les mêmes et tous différents, y compris ceux choisis par Marcel. Soit pour des raisons de forme soit à cause de la dimension temporelle du vécu, car différentes patines sortaient des caves, chaque hérisson se distingue de l’autre. De même, en histoire de l’art, chaque représentation, une Vierge à l’enfant, un paysage, une statue de Vénus, voire un monochrome, etc, est caractéristique. Bethan décide de donner suite à cette subtile expression de l‘inframince en les rassemblant dans un même espace. Le séchoir étant habituellement évoqué comme « exemplaire » d’un nouveau mode d’expression artistique, une entité devenue éponyme. Jusqu’au travail de Bethan Huws cette singularité de la différence entre les Porte-bouteilles était généralement éludée.
En 2007, Bethan présente une première installation au Kunstmuseum de St Gallen. Elle comportait 28 sèche-bouteilles et la pièce au néon. Avant et après l’exposition, l’oeuvre est photographiée placée provisoirement sous l’escalier de l’atelier parisien. D’autres assemblages sont montrés au Musée d’art Contemporain de Serralves, Porto (2009), á la Galleria Continua, Les Moulins (2010), au Centre International d’Art et du Paysage de l’Ile de Vassivière (2011), à la galerie Tschudi de Zuoz (2012/13), à la Kunsthalle de Karlsruhe (2015), à Unlimited, Art Basel (2017), et au Musée Tinguely de Bâle (2018). En 2015 plusieurs de ces assemblages sont réunis dans une publication intitulée Forest.
Le contexte et la distribution des sculptures changent. Différents également sont les modes d’apparition : formes, patines, couleurs, dimensions, hauteur, largeur et nombre de détails : galvanisés, voire regalvanisés, peints en rouge, augmentés d’un plateau servant à recueillir les gouttes d’eau, avec ou sans roulettes, reproduits en cuivre, au néon, dessinés et aquarellés en vert. Exposés seuls ou assemblés, certains sont intégrés d’une structure centrale, un collage imposé par l’usage pour en renforcer l’équilibre. Particulièrement appréciée par Bethan Huws qu’elle considère « plus naturelle », grâce à son affinité avec la couleur de la pierre, leur texture métallique subit parfois une modification à cause des tâches produites par le temps.
A la multiplication des Porte-bouteilles, s’associe celle des titres. Après Argon (2006), Forest (2008/09) etTour (2007), une aquarelle représentant un porte-bouteilles orné de feuilles vertes est intitulée Late Spring (2008), le plus ancien d’entre eux Max Ernst (2008), puis Le grand Verre (2008), Le Porte-bouteilles (2008), Vénus (2017). Dans le titre d’une vidéo A marriage in the King’s Forest (2009) où les séchoirs sont simplement évoqués sous le nom de Forest. Parfois les hérissons subissent une mutation et deviennent nommément une Tour ou une Neon Queen, dans un ensemble symphonique de la diversification.
Grâce à une sorte d'agilité de l'esprit pratiquée dans une poursuite réciproque, Bethan Huws se livre à un travail conceptuel qui renouvelle l’interprétation de l’œuvre duchampienne. Dans les Research notes, une publication qui compte des centaines de pages et témoigne des recherches de l’artiste sur l’œuvre et les écrits de son aîné, un chapitre de huit pages est consacré à l’iconologie du Porte-bouteilles et à ses synonymes verbaux et iconographiques par association inframince. L’assemblage de plusieurs éléments, au lieu de produire un remake, engendre une signification extensive du domaine duchampien. En d’autres termes, Richard Mutt a « créé » un readymade artistique (devenu le premier sens dans les dictionnaires de français) dont il sera, pendant une longue période, son seul auteur quoique ne l’ayant pas produit lui-même, mais adopté. Devant un Porte-bouteilles comme devant une Fountain 10 en forme d’urinoir renversé, on nommera Duchamp qui récupère ainsi le caractère unique de l’œuvre attribuée à un artiste. D’ailleurs saura-t-on jamais si le choix du mot "readymade" dont l’anagramme est « y a are de m d », il y a l’art de md, initiales de Marcel Duchamp, est à mettre au rang des coïncidences coactives ou bien s'il est délibéré?
Aussi le readymade est-il reconnu comme un objet usuel de l’art grâce aussi aux artistes qui en ont assumé l’héritage. D’un côté l’association entre Duchamp et le Porte-bouteilles sous toutes ses formes est renforcé mais il est également soustrait à une appartenance exclusive. A travers différents modèles qui parcourent plusieurs siècles et se multiplient, le récit propre à ce readymade change de nature. Il a une histoire avant et après Duchamp, regénérée par l’artiste galloise, passant de l’indifférence de l’objet quotidien à la multiplication des différences, à ces sculptures-objets, toutes semblables mais toutes différentes. Ainsi l’initiateur du readymade artistique est-il en même temps dépossédé du caractère unique de son geste artistique
Une « analogie inframince »11 dans les modes d’apparition, les formes, les symboles.
Dans ses notes de travail restées inédites jusqu’en 1980 Marcel écrit : « Tous les identiques aussi identiques qu’ils soient (et plus ils sont identiques) se rapprochent de cette différence séparative infra mince ». Mais encore : « Deux hommes ne sont pas un exemple d’identicité et s’éloignent au contraire d’une différence évaluable infra mince – mais il existe la conception grossière du déjà vu qui mène du groupement générique (2 arbres, 2 bateaux) aux plus identiques « emboutis ». Il vaudrait mieux chercher à passer dans l’intervalle infra mince qui sépare 2 « identiques » qu’accepter commodément la généralisation verbale qui fait ressembler 2 jumelles à 2 gouttes d’eau. »12.
Une pluralité de Porte-bouteilles, un catalogue, un coquillage (2008) portent le même titre : Forest. Ces glissements de sens d’une œuvre à l’autre à travers leur dénomination s’inscrivent profondément dans la poétique de Bethan Huws.
Il existe nombre d’exemples de cet ordre dans l’histoire de l’art. Même si d’autres artistes ont peint la Montagne Sainte-Victoire, son évocation l’associe « par inframince » à Cézanne. Pour les Nymphéas, c’est Monet qui est nommé. Et que dire des « robbiane », technique de la céramique inventée par Luca della Robbia, en substitution du marbre, plus onéreux, qui a permis d’élargir le monde des collectionneurs des contemporains du Rinascimento? Le rapprochement n’est pas automatique. Il est construit par le temps et le hasard. Une sorte de « hasard en conserve »13, dirait Duchamp. L’expression trouve ici tout son sens.
La question de l’unicité et de la multiplicité est une constante des débats propres à la culture humaniste quant au caractère unique et à la mise en valeur de l’œuvre d’art confrontée à la question de la multiplication. Les discussions concernant la gravure, relancées au XIXe siècle avec l’invention de la lithographie et de la photographie, qui avaient fait l’objet de controverses virulentes au XVe siècle lors de la découverte de l’imprimerie14, redeviennent d’actualité. Chaque nouvelle technique véhicule son lot de craintes quant à l’existence même de l’art. Dans l’Antiquité, Pline observe que tel ou tel changement de pratique, ou l’abandon d’une technique pourraient préfigurer la fin de l’art. A partir du moment où le ready-made devient un élément iconographique au même titre que tout autre thème pictural, sculptural ou architectural, il s’intègre désormais au dictionnaire de l’iconologie. Imaginons-le dans plusieurs siècles. De la même manière, un clocher de Borromini, par exemple, n’est pas redondant par rapport à un campanile médiéval, il est sa transformation et acquiert une marque de fabrique oblitérée par l’architecte.
La notion d’auteur est déclinée de manière différente selon les cultures et les époques. Comment une sculpture qui, à l’origine n’a pas été produite comme telle, de fait se transforme-t-elle en invention iconographique? Ce sont les artistes qui écrivent les chapitres successifs de l’art contemporain et c’est en quelque sorte également grâce à eux que Duchamp a gagné son pari. Aussi tracent-ils d’autres voies, soit par le biais subrepticement détourné d’associations possibles, soit en créant un parcours explicite.
Le travail complexe et articulé de Bethan Huws en est un exemple. A voir l’usage des Porte-bouteilles dans certaines œuvres on est tenté d’y associer superficiellement une réédition de l’un des premiers ready-mades. Or Forest installations de « Porte-bouteilles » collectionnés d’abord au nombre de 28, et dans le temps devenus 88 représente un tournant dans la lecture et l’interprétation de l’œuvre duchampienne. Forest écrit un chapitre d’une histoire de l’art initiée par Marcel Duchamp, infinie et dense de ramifications, qui a renouvelé la boîte à outils conceptuels, matériels, verbaux. La libre circulation des symboles, des concepts et des formes, soumise à une réflexion d’artiste engendre un principe de réincarnation continue.
Michele Humbert
1Duchamp s’est expliqué à plusieurs reprises sur la question de l’indifférence : « Le porte-bouteilles qui ne porte plus de bouteilles et qui devient une chose que l’on ne regarde même pas, pour ainsi dire, mais qu’on sait qui existe. On le regarde, si vous voulez en tournant la tête…Son existence a été décidée par un geste que j’ai fait un jour et cette espèce de complète indifférence, c’est ce qui m’intéresse le plus » Alain Jouffroy « conversations avec M. Duchamp dans Une révolution du regard, 1964. Pour constater toutefois au cours de son entretien avec Philippe Collins : « On ne peut pas toujours rester dans l’indifférence. Le monde n’est pas qu’indifférent quand même. » (M. Duchamp parle des ready-mades, gal. Givaudan, Paris 21 juin 1967, L’échoppe, 1998 p.15)
2Cf. F. Naumann & H. Obalk, Affect Marcel,The Selected Correspondence of Marcel Duchamp, Londres, Thames and Hudson, 2000, p. 43.
3Marcel Duchamp, Marchand de Sel, Le Terrain Vague, 1959, p. 44; Duchamp du signe, Flammarion 1976,p. 192.
4Il est important d’insister sur l’emploi de cette expression, publiée en 1980 dans les Notes réunies par Paul Matisse. Comme me l’a confié à plusieurs reprises Michel Sanouillet, elle l'avait écartée, de même que les autres notes, par Duchamp de Marchand du Sel (MdS) et de ce fait, exclue également de Duchamp du signe (DDS). Un corpus d’annotations probablement trop explicite et réservé au travail très personnel de l’artiste. Or leur publication posthume permet d’éclairer certains aspects de l’œuvre.
5M.Humbert, Duchamp provocazione e tradizione, Art e Dossiern°19, 1987; Giochi linguistici e linguaggio in Duchamp: dalla Ruota di bicicletta a With my tongue in my cheek, Studi in onore di Giulio Carlo Argan, La Nuova Italia, Firenze 1994. Marcel Duchamp et les avatars du silence, Etant donné n°1, Revue de l’Association pour l’Etude de Marcel Duchamp, Paris 1999.
6DDS, p. 192.
7Cf. Etant donnés n° 4, Paris 2002, p. 115.
8Marchand du Sel, p. 44. En note M. Sanouillet écrit : “repris dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme, à l’article “Ready-made” et précédé de la définition suivante : “Objet usuel promu à la dignité d’objet d’art par le simple choix de l’artiste”. Signé (M.D.). Texte attentivement relu par Duchamp."
9 MdS, au mot « Langage » p. 43 48; DDS, p. 43.
10M. Humbert E Fountain compie cent’anni, Exibart n° 96, Janvier 2017.
11Cf. MD, Notes, n.2. p.21.
12Notes 35 rv, p. 33.
13Cité également dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme au mot “hasard”, paraphé avec les initiales MD
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ArtBasel 2017