The Family

Paula Rego
  • Paula Rego. The Family, 1988 © Paula Rego, 2016

Paula Rego. The Family, 1988, acrylique sur papier marouflé, 213 x 213 cm, Courtesy Saatchi Gallery, Londres © Paula Rego, 2016

 

« Le travail figuratif sans compromis de Paula Rego oblige les spectateurs à se confronter directement aux relations humaines et à la dynamique du pouvoir social, sexuel et émotionnel qui les définit souvent. Utilisant des stratégies de parodie, de théâtralité et de narration, les scènes domestiques formellement complexes et psychologiquement chargées de Paula Rego, qui peuvent être aussi tendres que bouleversantes, mettent en lumière les expériences des femmes dans un monde façonné par les conflits. » Madeline Weisburg (catal. The Milk of Dreams, Biennale d’Art de Venise, 2022)

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Elle, elle fait partie des peintres qui dérangent, qu'on peine à regarder, elle dit ce qu'on préfèrerait ne pas savoir, ne pas avoir vu. Elle dit l'intime dans ce qu'il a parfois de pire, la solitude, la violence, celle que dans son pays au temps de la dictature on infligeait à tout un peuple, aux hommes voués à la guerre, aux femmes assignées au monde familial et contraintes à l'avortement clandestin. Elle le dit à sa façon, peinture très léchée, soignée et en même temps des traits grossiers, des personnages lourds ancrés dans le sol, englués dans leur condition. Paula Rego née à Lisbonne le 26 janvier 1935 est décédée le 8 juin 2022. Elle nous laisse une œuvre essentielle, un univers d'angoisse qui étonnamment l'apparente pour moi à Balthus : un quotidien apparemment banal où règnent le mal, l'horreur et la violence.

Cette scène intrigue, quelle est cette famille où une femme (la mère, la domestique) et une adolescente semblent déshabiller un homme sous les yeux d'une petite fille aux mains jointes ? L'homme serait-il rentré ivre et sa famille l'aide-t-elle à se déshabiller pour le coucher sur le lit défait ? Le sentiment de malaise qui nous saisit devant la toile, le bras de la femme qui semble étouffer ce qui serait un cri de l'homme, le regard, la position de la jeune fille collée au bas-ventre de celui-ci nous conduisent à penser que nous sommes devant une scène de crime : on massacre le père. Et on sait pourquoi bien sûr, on n'a pas de doute, c'est l'inceste qui est représenté, la domination absolue du père qui est dénoncée, le rouge de la nappe à droite, la fleur en bouton déposée exactement en parallèle le confirment évidemment : sang de la défloration, fleur détruite avant de s’être épanouie (ou phallus turgescent ?). La petite fille de droite dont la lumière crue du dehors projette une ombre terrifiante sur le sol assiste à l'assassinat, à la vengeance, elle semble prier mais aussi accepter le sacrifice auquel se livrent les deux autres personnages féminins. Pour confirmer notre analyse l'oratoire familial (ou le castelet de marionnettes) au fond à droite représente Saint-Michel tuant le dragon alors que Marie-Madeleine prie. Saint-Michel lutte contre le mal et c’est aussi celui qui pèse les âmes lors du Jugement Dernier et Marie-Madeleine celle qui de pécheresse devint sainte.

Justice est faite, la vengeance est permise et pardonnée par le Ciel, telle serait au fond la morale de la pièce que nous propose Paula Rego ! Et son pessimisme est renforcé par le détail que l'on ne voit qu'à peine, sur le meuble qui supporte l'autel familial (ou le castelet) figure une représentation de la fable de La Fontaine : Le Loup et la cigogne qui commence ainsi : «Les loups mangent gloutonnement» et se conclut par cette phrase : «Ne tombez jamais sous ma patte». Ce qui nous conduit à penser que le meurtre du père n'est que rêvé, souhaité et qu'en réalité sa domination sur les femmes de son foyer continuera et qu’elles, éternellement, seront condamnées à le servir (la mère n’a-t-elle pas un uniforme de domestique ?), le subir, le dévêtir…

 

Marie Lavin

 

Vu à

 

Saatchi Gallery

Londres

Angleterre