Comment j'ai appris à me tenir droit

Christian Globensky
  • ©Christian Globensky et Perin Emel Yavuz, 2017
  • ©Christian Globensky et KTA Studio, 2018

Couverture du livre. Portrait de Christian Globensky avec la complicité de Abbas Akhavan et du MAC de Montréal, photo Perin Emel Yavuz, 2017

 

Comment j'ai appris à me tenir droit est une nouvelle proposition de Christian Globensky artiste-philosophe. Elle se présente sous la forme d'un livre édité par Keep Talking Agency et accompagné de créations dérivées produites par KTA Studio, autant d'alias pour un artiste de A à Z autonome ou presque. Pastichant les publications de développement personnel, genre à succès, Christian Globensky propose de penser avec son corps, d'affronter la vie sans culpabilité, et de s'intégrer dans la mêlée avec pragmatisme et générosité. En d'autre mots de faire de sa vie une œuvre d'art. Le texte ci-dessous écrit par le philosophe Fabrice Midal préface l'opus. AMM

 

Nietzsche sait démêler avec une finesse sans égale, les pièges de la « moraline » qui prend la place de la morale authentique et les affirmations de la psychologie commune qui nous aveuglent. J’ai lu adolescent avec passion Ecce Homosur lequel s’appuie ici Christian Globensky. C’est un texte merveilleux et dont la lecture est un profond antidote aux mensonges de notre temps. Nietzsche se bat avec un courage bouleversant avec tout ce qui entrave le déploiement de nos existences. Et tout particulièrement ces naïvetés sur ce que signifie être soi et être juste.

Enfant, j’ai participé à un concours de château sable. Nous disposions d’une heure, je me suis attelé à la construction d’un vrai château, avec ses donjons et ses ponts-levis. Je n’ai pas réussi à en terminer la moitié. Ma sœur, elle, avait choisi de sculpter une coccinelle et, pour qu’elle soit parfaite, elle l’avait ponctuée de confiture de fraise – elle en avait rapporté un pot de la maison. Elle a gagné le premier prix. J’étais alors sûr d’avoir raison. De suivre les règles. D’être juste. Et j’étais à côté. Trop souvent nous croyons avoir raison, mais nous sommes juste enfermés en nous-mêmes. 

Un de mes amis, me raconte sa dispute avec son épouse. Il lui a expliqué qu’au fond de lui, elle lui faisait peur et qu’il se devait d’être honnête et de lui dire. Elle l’a mal pris et, blessée, elle a claqué la porte. Il est tombé dans le piège qui consiste à croire qu’être soi, signifie s’écouter, se centrer sur soi-même et que la relation à l’autre implique de dire ce que l’on sent. Il a fait là deux erreurs. Être soi n’est pas aussi simple. Cela demande de faire un travail précis et rigoureux. Il faut apprendre à se libérer de la servitude sociale, des habitudes, des mécanismes qui nous empêchent d’être au contact de la réalité. La relation à l’autre ne repose nullement sur une sorte d’authenticité vague mais sur une exigence éthique : être juste, aider la situation, favoriser le déploiement de la vie. Autrement dit, pour être soi, il faut pouvoir s’oublier, il faut pouvoir donner, penser plus grand que soi. L’erreur de mon ami est commune. Il est sûr d’avoir raison. De dire la vérité. Mais il est aveugle à l’essentiel — et au premier chef au sens profond de la relation. Il est enfermé en lui, en son orgueil. 

Le chemin de la méditation est ici tellement aidant. Non pas pour se calmer, être « zen », détendu mais pour se permettre de sortir de soi-même, d’être plus ouvert à la réalité, à ce qui est… Quelle étrange situation ! Moi qui consacre ma vie à enseigner la méditation, je la vois réduite partout à n’être plus qu’un outil technique de gestion du stress pour être plus calme et plus performant. Alors qu’il s’agit d’un acte pour être un peu plus libre, savoir dire « non ». On attend de moi que je sois calme, serein, détendu, or je pratique pour ne plus l’être. Pour entrer un peu plus résolument dans la vie. 

Christian Globensky a raison de nous inviter à relire Nietzsche et de montrer que le souci d’être juste, de savoir se tenir, n’a rien à voir avec ce souci de calme et de sérénité abstraite. Être juste repose sur des exigences toutes simples comme se tenir droit, savoir que manger, comment parler à quelqu’un, comment ouvrir et fermer une porte… Voilà ce qu’il nous faut apprendre. Christian Globensky a raison de souligner que notre difficulté vient d’un déni de notre corps. De ne plus savoir se tenir droit. 

Je crois que c’est là une profonde sagesse — qu’étrangement les artistes ont su découvrir mieux que les autres. Ils savent que mettre de côté les émotions, chercher à donner une image parfaite de soi, ne conduit à rien. Ils savent la nécessité d’embrasser le champ tout entier de l’existence avec amour. 

Soyons tous artistes de nos vies. N’ayons plus peur du chaos, mais apprenons à danser avec lui. 

 

Fabrice Midal, fondateur de l’Ecole Occidentale de Méditation

 

Dernier livre paru : « Sauvez votre peau, devenez narcissique », Flammarion

 

Diffusé et distribué par

Les Presses du Réel