Blasons japonais

Laurent-Marie Joubert
  • © Laurent-Marie Joubert, 1993
  • © Laurent-Marie Joubert, 1993
  • © Laurent-Marie Joubert, 1993

La religion/Peau de tambour/Tréflé de 3 pièces/TamaL'été/Nébulé Assagao/De créquy/Aux fleurs étrangesL'Etat/Ecartelé/Kiku/Rayure plié, vernis, huile et cire sur bois, 55x55x5 cm,1993

 

 

Cette série virtuose développe une esthétique liée aux racines de deux cultures, au travers de deux systèmes de signes : les héraldiques européenne et japonaise. Du point de vue de la façon, elle met en relief avec délicatesse des formes familières dans lesquelles une image se construit dans l’épaisseur d’un volume en bois, par aplats de couleurs saturées et striées, de figures stylisées, de découpes, de figures. 

Passionné par la manière dont s’organise la communication visuelle des sociétés, Joubert a étudié avec passion la science des armoiries et des blasons. Dans le catalogue d’une exposition qui eut lieu au Centre d’art Le Quartier, Michel Pastoureau explique ainsi le projet de l’artiste : « Faisant se rencontrer, se juxtaposer ou se superposer des catégories de marques et d’emblèmes très diverses, Laurent Marie Joubert les a constamment détournées de leur fonction première : situer des individus dans des groupes et ces groupes dans l’ensemble de la société. Mais en même temps il y a trouvé la morphologie et la syntaxe d’un art original, faisant de la citation des marques et de la déclinaison des emblèmes son style propre, tout ensemble sémantique et onirique »1.

Pour sa résidence à la Villa Kujoyama (Kyoto) en 1993, Joubert s’est donné comme projet d’établir des correspondances entre ces pratiques dans les deux pays. Il se trouve que le Japon est le seul avec l’Europe, à avoir fait de ces normes visuelles un art . A la différence qu’au Japon les blasons servent d’enseignes emblématiques de corporations alors qu’en Europe ils sont des signes et symboles de reconnaissance pour identifier les territoires et les pouvoirs. 

Mais comment réunir culturellement deux continents sans se hasarder à une fusion confuse ? En s’appropriant, avec pénétration, la force visuelle des objets héraldiques qui provient d’abord de leur structure très codifiée et structurée. Les signes s’organisent « plans par plans (…) à l’intérieur d’un périmètre et se lisent par allers-et-retours d’un plan à l’autre »C’est en adoptant cette syntaxe, et en soustrayant des images de l’épaisseur du quotidien, que Laurent Marie Joubert a conçu son propre répertoire de blasons, d’armoiries, de logos pour créer ces objets à haut pouvoir métaphorique qui marient les climats et les symboles. 

Pendant son année passée au Japon, l’artiste a pu pénétrer dans différentes communautés de travail et s’imprégner de traditions toujours vivantes qu’on retrouve dans cette série. Les blasons sont confectionnés en planches ajustées, avec le Yaki Sugi, bois provenant du sycomore et brûlé pour résister aux intempéries. La moitié de la surface est finement trouée, semblable à la technique de dying utilisée par les teinturiers de kimono nippons qui pour faire les décors textiles passent de la cire chaude à travers un stencil percé faisant ainsi un motif par réserve de cire. Chaque objet est ouvragé par un savant croisement de nature et culture, offrant un rébus dont le titre livre quelques clés en énumérant avec des mots cryptés les éléments qui les composent. 

Ce système d’iconographies combinant Orient et Occident tient dans une forme empruntée aux blasons de nos chevaliers (l’écu, la targe...), objets guerriers faits pour protéger et rassembler. L’iconographie déterritorialise des symboles japonais : l’État figuré par le chrysanthème, fleur de l’Empereur. La religion qui s’incarne dans l’image d’une peau de tambour de moine sur laquelle un trèfle à trois feuilles vrille comme l’hélice de l’âme. Le nebule, ou nuage, qui passe sur le liseron, fleur d’été qui apparaît le matin et meurt le soir. 

Joubert compose avec les représentations pour proposer sa propre incarnation singulière de l’universel. Il fait sienne l’expression de Water Benjamin : « L’aura, un lointain si proche soit-il... » L’énigme de la puissance expressive des Blasons japonais de Laurent-Marie Joubert s’interprête non seulement par les informations mais aussi par les rythmes, les passages et la manière dont les motifs pavoisent. Ces bas-reliefs constituent une utopie unificatrice, en hybridant des points de ralliement d’organisations sociales collectives. Mais ils se jouent de l’ethnocentrisme et tissent des parentés plus ou moins éphémères par une démarche sincère et empirique qui s’éloigne résolument de l’univocité.

 

Anne-Marie Morice

 

1 Michel Pastoureau, Le pouvoir des signes, catalogue Laurent Joubert, Le bateau ou la forêt, éd. Le Quartier (Quimper) 1992

2 ibid

 

Vu à 

Sous les pavés les arbres

Aubervilliers

Parcours artistique

Les 6, 7 et 8 juillet 2018