Bain de forêt

Tadashi Kawamata
  • Bain de Forêt, 2021©Tadashi Kawamata
  • Bain de Forêt, 2021©Tadashi Kawamata
  • Bain de Forêt, 2021©Tadashi Kawamata

Bain de forêt, Tadashi Kawamata, une vingtaine de cabanes et de grands nids, bois, oeuvre pérenne dans le parc boisé de Tremblay-en-France, photographies de Tadashi Kawamata

 

Tadashi Kawamata porte un regard attentif sur l’architecture, nos modes de vie, l’urbanisme et les lieux vacants et abandonnés. Ses œuvres naissent de son expérience sensible des espaces à la fois intérieurs et extérieurs. Ses installations proposent de nouvelles appropriations d’espaces urbains et certaines peuvent être considérées comme des observatoires de la biodiversité ou comme des abris, en référence aux favelas et aux habitats précaires. L’artiste opère de légers changements dans les lieux où il intervient et s’attache à ce que ses œuvres créent des surprises pour les passants. Parfois, il implique des habitants à la réalisation de ses installations in situ. Ses œuvres ponctuent des itinéraires artistiques dans des parcs et jardins et certaines ont vu le jour dans des monuments et sur des architectures.

Après ses nombreuses cabanes dans différents contextes, abris perchés qui diffèrent selon l’arbre où il sont installés, en 2008, à la galerie Kamel Mennour et dans la cour de la Monnaie de Paris, sur la façade extérieure du Centre Pompidou en 2010, au Domaine de Chaumont-sur-Loire en 2011, dans un jardin intérieur du Béguinage lors de la Triennale de Bruges en 2015, à Tremblay-en-France, Seine-Saint-Denis, d’autres cabanes ont vu le jour en 2020, suite à une proposition de projet artistique pérenne dans le cadre d’une démarche d’aménagement du parc urbain boisé de 11 hectares, au cœur de la ville.

En tant que critique d’art et curatrice, j’ai travaillé sur la première phase du projet aux côtés de Pascal Le Brun Cordier mandaté pour la direction artistique de cette « commande citoyenne ». Dans un premier temps, nous avons présenté à un collectif d’habitants, une sélection de 40 artistes qui réalisent des œuvres en relation avec la nature, dans les jardins, dans des paysages. Puis Pascal Le Brun Cordier a établi un dispositif de commande citoyenne en six étapes. Avec ce collectif d’une vingtaine d’habitants, qui fut dénommé « collectif des amis du bois », « Nous avons arpenté le bois, écouté le vent, marché les yeux fermés, enlacé des arbres et discuté aussi de ce que représentent dans notre culture et dans nos vies les forêts. Nous avons notamment parlé de La vie secrète des arbres, le livre à succès du forestier allemand Peter Wohlleben, mais aussi de Nos Cabanes, l’essai poétique et politique de Marielle Macé, et de beaucoup d’autres choses. Nous avons aussi parlé précisément de ce bois, de son histoire, de son peuplement. » témoigne Pascal Le Brun Cordier1. Un Cahier des désirs et des possibles a été écrit de manière collégiale et fut transmis aux artistes pré-sélectionnés. La méthode de concertation s’approche de celle des Nouveaux Commanditaires, tout en allant plus loin, dans cette commande, les citoyens de Tremblay-en-France ont choisi de manière collégiale l’artiste et pleinement contribué au projet lors des différentes étapes.

Une vingtaine d’artistes ont été retenus et au final c’est le projet de Tadashi Kawamata qui a été choisi. L’artiste s’est inspiré d’une pratique thérapeutique très populaire au Japon, le « shinrin-yoku », littéralement traduit comme « bain de forêt », qui consiste à entrer en connexion avec les arbres pour se ressourcer. Considérant les particularités de ce parc boisé, entre Paris et l’aéroport, il a proposé d’en faire une réserve pour les oiseaux. Pour privilégier une découverte progressive de l’espace boisé, l’artiste-plasticien a établi un plan permettant de ne pas rendre plus de deux cabanes visibles d’un coup d’œil.

Ces œuvres in situ, arrimées aux arbres et destinées aux animaux, nous invitent à des réflexions sur l’imaginaire de la cabane et les enjeux que soulèvent les constructions, refuges, et abris parfois inaccessibles. Dans ce bois urbain, ces installations nous engagent à aiguiser notre regard, à appréhender ce lieu de promenade réaménagé et à le découvrir en empruntant de multiples chemins. En hauteur, ces 25 sculptures perchées sollicitent notre attention aux différentes strates de végétation. Les cabanes apparaissent comme des greffes dans les arbres, des architectures instables et fragiles.

Des habitants ont accompagné la création de cette œuvre en participant notamment à des ateliers de création de nichoirs, en collaboration avec des ornithologues. Ces maisons pour oiseaux ponctuent ainsi le bois, telles des architectures miniatures, qui font écho aux cabanes, lieux de protection de ces animaux. Cet espace vert urbain est aussi devenu une destination pour les franciliens et pour les amateurs d’art contemporain.

Ainsi, cet ensemble d’œuvres offre des expériences sensibles partagées pour les habitants de la commune de Tremblay-en-France. Les cabanes de Tadashi Kawamata nous surprennent et nous pouvons les contempler au fil des saisons, apparaissant alors différemment selon la densité de végétation. Ses sculptures perchées se laissent deviner au fur et à mesure d’une promenade et nous incitent à revenir les découvrir telles des surprises, qui une fois découvertes constituent des instants de grâce. Ce parcours d’œuvres me semble avoir un impact d’une grande force qui répond d’autant plus au plaisir de la découverte et d’une expérience esthétique entre art et nature.

Pauline Lisowski

 

Vu à

Tremblay-en-France

 

1Entretien avec Laurent Vernet, 2021